« J’ai tué ma femme non pas parce qu’elle me devait de l’argent, mais parce qu’elle en valait : l’accusé n’aurait jamais pu dire cela. C’est impossible d’avouer un tel crime. » Mercredi, devant la cour d’assises de l’Essonne, l’avocat général Rémi Crosson du Cormier a tenté d’expliquer le silence pesant de Jamel Leulmi, qui n’a pas relevé la tête une seule fois de la journée, ne laissant voir de son visage que son crâne. Cet homme de 36 ans, surnommé par la presse le « veuf noir » ou le « barbe bleue de l’Essonne », est accusé d’avoir tué sa femme, Kathlyn, pour toucher l’argent de son assurance-décès.
Il est également soupçonné d’avoir tenté d’assassiner une autre femme, Julie Derouette, partie civile au procès, pour les mêmes raisons. Selon l’avocat général, il n’y a aucun doute : Jamel est coupable. Et le parquet de requérir une peine de réclusion à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 22 ans. Me Dupond-Moretti, qui défend l’accusé, rugit : « L’absence de preuves a conduit l’accusation à mépriser la justice. Ici, si vous n’avez pas les contrats d’assurance, vous n’avez rien. »

Pourtant, cette fois-ci, même avec le talent qu’on lui connaît, le célèbre pénaliste aura bien du mal à obtenir un énième acquittement. Car, à défaut de preuves matérielles, il y a bien un faisceau d’indices et de témoignages qui pèsent contre Leulmi. Durant toute sa plaidoirie, Me Cathy Richard, avocate de Julie Derouette, n’a cessé de le dépeindre en séducteur invétéré, en manipulateur de génie. « Aujourd’hui, il existe des coaches en séduction. Jamel Leulmi aurait pu se reconvertir là-dedans : charmeur, entreprenant, un corps qu’il travaille comme une arme », a-t-elle lâché. Pour elle, l’accusé a usé de tous ses atouts pour séduire Julie Derouette et la convaincre de signer des assurances-décès d’un montant de plus de 6 millions d’euros. À la mort de Kathlyn, sa première épouse, Jamel Leulmi avait déjà perçu presque deux millions d’euros, qu’il avait réinvestis dans l’immobilier et dans… des assurances-vie.
« Elle entend sa nuque craquer, se briser »
« Après s’être présenté comme un Casanova, Jamel Leulmi a joué la carte du veuf éploré, décrit Cathy Richard. Jamel Leulmi est riche, mais surtout généreux. Il va donner à Julie de l’argent pour ses filles, des cadeaux. Il va la convaincre que ses enfants sont la prunelle de ses yeux. Il s’y intéresse beaucoup, en prend soin. Il dit à Julie qu’elle est sa princesse, qu’elle pourrait remplacer son épouse décédée. Le 18 décembre 2009, elle est persuadée qu’il est amoureux d’elle. »
Puis vient l’épisode du Maroc. Ce fameux séjour durant lequel Julie Derouette a été rouée de coups et laissée pour morte sur une route déserte. Elle affirme qu’elle y était venue à la demande de Jamel. L’accusé nie, affirme qu’elle est folle et mythomane. Qu’il était simplement là pour passer quelques jours avec sa compagne, Céline David, dont le rôle n’a pu être éclairci à l’audience. Jamel ne m’a jamais quittée une seule fois pendant le séjour, affirme-t-elle. « Vous n’avez eu de cesse de présenter Céline David comme coupable, alors qu’elle n’a même pas été mise en examen. Au mépris de la présomption d’innocence, vous aviez besoin de la démolir, car elle est l’alibi de Jamel Leulmi », s’est emporté Éric Dupond-Moretti.
Pourtant, l’hôtel dans lequel Julie Derouette a séjourné au Maroc est bien connu de l’accusé. Lui-même y a résidé plusieurs fois, selon des réceptionnistes qui affirment l’avoir reconnu. Dupond-Moretti peste : « Pourriez-vous reconnaître, vous, dans quinze jours, tous les témoins qui ont défilé à cette barre ? » À son arrivée au Maroc, Julie loue une voiture, charge sa valise, puis s’engage sur une route « sans panneau indicateur, sans lumière, au milieu du désert », pointe Cathy Richard. Qui ajoute : « Elle a forcément été guidée. » Julie explique avoir suivi Jamel Leulmi, puis l’avoir soudain perdu de vue. Elle est percutée par d’autres véhicules et frappée violemment derrière le cou. « Elle entend sa nuque craquer, se briser, puis perd connaissance. Ses agresseurs lui feront ingurgiter de l’alcool, puis l’abandonneront dans le froid, dans le désert », continue l’avocate de la partie civile.
« J’avais qu’à remplir et à signer »
Ce n’est que plus tard, lorsque son appartement sera visité, que Julie Derouette dénoncera tout à la police. Les enquêteurs découvriront avec stupeur que la première femme de Jamel était morte dans les mêmes conditions. Un accident, durant lequel Kathlyn avait été fauchée lors d’une promenade en vélo dans des circonstances troubles. L’accusé avait été retrouvé dans le fossé, allongé sur le corps de sa femme, face contre terre, l’empêchant ainsi de respirer. La défense parle d’ »état de choc ». Les experts, eux, n’ont jamais pu déterminer les causes de la mort.
Dans ce procès, il n’y aura eu ni preuve matérielle ni preuve scientifique. Les géolocalisations se contredisent, les témoignages, parfois peu crédibles, aussi. Les avocats de la défense se servent des SMS qui figurent au dossier pour dire l’inverse de ce que l’accusation vient d’affirmer. Tout est question d’interprétation. S’adressant aux jurés, un des avocats de Jamel Leulmi résume : « Vous n’avez pas de quoi vous rattacher à l’évidence. Pouvez-vous tendre les deux mains en disant : Vous pouvez les couper, car je suis sûr ? »
Reste une constante que l’on retrouve dans tout le dossier : les assurances-décès. Toujours, car une troisième femme, Karine, est concernée. Alors qu’elle était à la barre, son témoignage avait été accablant. « Déficiente », selon les mots de l’accusation, ne sachant presque pas lire ni écrire, la jeune femme, très mal à l’aise, avait expliqué : « Il m’a fait souscrire plusieurs assurances-vie à son nom. Moi, je ne comprenais pas. J’avais qu’à remplir et à signer. » Cela a suffi à l’accusation pour réclamer la perpétuité. Avec « sa politesse offusquée », sa « maîtrise de lui-même », Jamel Leulmi a assouvi une « odieuse domination d’un homme sur des femmes pour gagner de l’argent », a lancé Rémi Crosson du Cormier. « Son image est le principal moteur de son existence. Il s’en est servi pour mettre en place un système utilisé comme mode de ressource et d’enrichissement », a-t-il poursuivi. Avant de conclure : « Kathlyn et Julie étaient deux femmes irrémédiablement condamnées à mort. » « Je suis innocent et c’est tout ce que j’aurai à ajouter », a répondu jeudi matin Jamel Leulmi. Le verdict est attendu dans la journée.