[NVDF] :
Vous vous apprêtez à lire un roman-feuilleton − inachevé − en 45 épisodes, du genre polar ; un Poulpe. Si vous n’avez jamais entendu parler des aventures du Poulpe, allez faire un tour sur l’article de Wikipédia et, c’est indispensable, sur un bon vieux site qui lui est consacré.
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Un mode d’emploi est nécessaire : Ver de Notaire est écrit en ligne, en direct et quasiment sans retouche ; sa forme actuelle est celle de son support : un blog. En trois à quatre heures, je trouve une illustration – presque toujours inédite, souvent retravaillée –, je mets le « billet » en place, trouve le titre (c’est obligatoire sur un blog), un seul mot qui n’a pas l’air comme ça, mystérieusement lié à l’histoire mais pas à l’épisode du jour, puisque j’ignore absolument ce que je vais écrire.
J’ai des idées à gaver et plein d’histoires en tête et je sais où je veux en venir, mais parti comme c’est (je vous écris du 39ème soir), c’est feuilleton : je peux balader mon Poulpe et toute sa bande jusqu’à la retraite, si le cœur m’en dit. C’est donc découpé en épisodes, en tableaux ; pas en chapitres.
Préambule
J’ai déserté le net pendant quelques semaines et puis je suis revenu… pour tomber sur le cinquième d’une série de samedis poulpiens sur Rue89 1 et, comme les conjonctions sidérales sont à peu de choses près les mêmes que lors de mon premier contact avec ce héros ventousard et gluant il y a douze ans, je m’y recolle.
J’écris un Poulpe, donc, qui fait en quelque sorte une suite au premier.2
Je m’y colle d’un seul coup, comme ça, sans réfléchir, comme la première fois.
Je ne suis pas romancier, alors je me sers du costard et de la déco inventés par J.B. Pouy et quelques autres en 1995. Ça n’y va pas avec le dos de la cuiller et pas non plus par quatre chemins ; faut faire avec ce qu’on a, comme je dis.
La réapparition du Poulpe sur Rue89 fait plaisir ; Gabriel Lecouvreur n’est pas un bon mortel, donc, et c’est tant mieux.
Évidemment, je fais pas comme il faut : les collègues font leur ouvrage sur Rue89, en bande joyeuse, et moi je suis tout seul ici, dans mon petit atelier de Puycity d’où je ne sors presque jamais. Ils sont même pas au jus. J’irai leur dire, quand même…
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Oui, ça pouvait pas en rester là… y a eu des vivants et des morts, plein de malheur et encore plus de choses jouasses, depuis ce temps… Côté mort, il y eu celle – suicide à sa sortie après onze ans de taule – du personnage principal de Cigogne, Zitouni, en 2006. Parce que ne sais rien faire d’autre qu’écrire des histoires vraies. Je n’y peux rien, mais tout me tombe toujours dessus, comme ça et sans raison, gratos, pan dans la gueule. Je serais moine trappiste, qu’il y aurait de l’assassinat dans les confessionnaux.
Dans ce Poulpe nouveau, c’est un notaire que je me prends sur le râble. Moi Oscar. Parce que c’est un roman, bien sûr, et que je vais mentir tant que je pourrais et qu’il ne faudra surtout pas me croire : rien n’est arrivé à personne, nulle part. Gabriel Lecouvreur n’existe pas plus que maître Pourrin et il n’y a nul Crassac ou Puycity dans notre dimension.
Comme tous mes textes depuis 2001, celui-ci est publié sous licence Copyleft, c’est-à-dire que vous êtes libres de le copier sur n’importe quel support, mais pas de le modifier ni d’en tirer le moindre profit, que je n’autorise personne à le reproduire dans mon autorisation et que la mention de l’auteur est obligatoire, ainsi que l’URL du texte original en cas de reproduction sur le Net. [modification en date du 2 janvier 2012 : l'intégralité de l'Ici-Blog est passée sous copyright].
Le Poulpe, son univers et ses personnages fétiches sont sous copyright des éditions Baleine et de leurs repreneurs, qui seront bien gentils de me laisser faire (vont pas me coller en procès pour ça, non ?).
Les personnages et les événements relatés dans ce roman sont fictifs. toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait purement fortuite.
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— 1 —
À Alain Pougetoux, ami très cher et homme délicieux.
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Introïtons, donc…
Requiem… Le mot et la musique, mais pas ce demi-ton funèbre ; les chœurs comme ceux des anges d’une chapelle baroque, et puis l’azur… ce ciel si pur…
Gabriel sentit d’abord qu’il ne sentait plus rien. La totale ankylose. Puis une vibration grave, des éclats brefs sous les paupières, la langue comme du carton, les quatre membres de coton, le souffle d’un Vulcain dans la poitrine, le cœur comme un piston de vieux diesel.
Et puis le vide, affligeant. Le flip, c’est exactement ça : ne plus avoir idée, ni de qui, ni d’où, ni de quoi et encore moins de quand. Panique du voyageur, stade ultime du jetlag.
Un peu après, on se rassemble : nos pieds se reglissent dans leurs pompes, les yeux rentrent aux trous, les doigts se dégourdissent, les esprits dispersés s’unissent en un, le sien ; on redevient soi-même et on se dit qu’on l’a échappée belle. Et on fait ouf.
Et pourquoi on s’est réveillé comme ça, hein ? C’est les virages. Et si ça saute, c’est les nids-de-poules. Et s’il fait moins froid que dans les hauts du Onzième, c’est qu’on dirait le Sud. Quand-même, Gabriel se sent bizarrement décalé ; un peu comme personnage de K. Dick. Conscient d’être ici, dans une automobile en fer, sur une route et dans la nuit, avec toutes les senteurs de printemps d’hiver du nouveau siècle, ces gazouillis de piafs dans le bleu-noir des bois de chataîgniers. Et ce vague sentiment d’avoir un autre soi qui fait sa vie ailleurs, au même temps.
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Oscar. Voilà. Je vais chez Oscar. C’est ça. J’sais plus pourquoi, mais j’y vais…
Si. Ça me revient ; je vais me reposer la couenne. J’ai besoin. Le Lot. La paix. L’herbe à Oscar… rien foutre et oublier en bouffant des girolles tout en sifflant une bière d’Olt. J’ai pas chômé, faut dire. C’est très dur d’avoir trente-cinq piges depuis douze ans. Aucune pitié, le créateur. Oui, je me casse. Fait chier, Pouy. C’est plus une vie. J’était peinard, au pieu avec Cheryl (tiens, c’est elle qui conduit…) après cette suite frénétique de missions antifafs ordonnées par le GRUB (Groupe Révolutionnaire Unifié Baleine – hommage à la pasionaria mixtèque obèse du PUN (Parti Unifié Nihiliste) – jusqu’à l’arrivée de ces hideux billets d’euros, et puis hop, au tafiot qu’il m’a dit.
Sauf que des tafs à fafs, j’en ai ma claque. C’est usant. Ça repousse. T’en éreintes un, aussi sec t’en as un autre se pointe. Non, et puis ça va bien, hein, le combat politique tout seul. Un truc de super-héros ricain, ça… Lecouvreur, Superman, même combat. Les vieux anars genre Pouy, c’est toujours le même truc : z’ont lu Marx et Captain Marvell, et avec l’âge, ils finissent par confondre. Alors ciao-bye. Qu’on me foute la paix. J’suis pas Astérix, moi. Même le Concombre Masqué, son Nikita y fait gaffe. Il le pousse pas dans ses extrêmes et il ménage son légume, lui.
Qu’ils se dépatouillent-donc eux-mêmes de ces fâcheux. Tous des pleutres. Le populo… tu m’en foutras du petit populo. Il me dégoute, tiens. Aucun intérêt. Quatre-vingt-quinze pour cent de cons molassonés. C’coup-ci tu m’auras pas, Pouy. Nib. Personne sait où on est, où on va. À bord d’une Super-Goélette plateau Saviem cru 1974… et sur une départementale.
Il est con, Oscar, mais son coup de fil pouvait pas tomber mieux, ce jour-là.
— Ho con… Oscar ! Ah là, je m’attendais pas ! Combien de temps, déjà, l’histoire de ta frangine ? Onze ans…
— Oui mais je t’appelles pas pour ça… Rien à voir. Une histoire de camion ; je t’expliques. Tu me dis oui ou merde, pas de problème. Mais comme je connais plus que toi à Paris… depuis le temps que j’y vais plus jamais. Bon voilà : c’est mon copain Lapoutre, le garageo au black, tu te souviens ? Ben il a besoin d’un service et du coup je fais le relais : il vient d’acheter le camion-plateau de ses rêves sur le net, mais faut aller le chercher à Paris et il peut pas y aller. Et moi non plus. Et faudra quand-même faire gaffe au retour, vu qu’il a ni contrôle technique ni assurance et qu’il est dans le jus. Sinon, c’est une horloge. Increvable. Quatorze chevaux fiscaux et autant de litres au cent. De super.
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Cheryl a mal au cul, les bras qui tirent…
— Chuis crevée… Tu pourrais pas me reprendre le volant ?
— Ça roule.
Donc tout par les petite routes. Un vrai casse-tête en 2008. Éviter le képi. 672 bornes, treize heures tout moulin ronflant.
Oui, parce que j’y ai dit oui, au pote Oscar. Je peux pas lui refuser ça. Depuis la maternelle, qu’on est copains et pas juste copains. Depuis la Cité Delaunay, 3 qui s’ouvrait au 176 de la rue de Charonne et n’est plus, remplacée par une de ces insipides et péteux immeubles né des incendies criminels à répétition du Grand Est Parisien, vaste projet immobilier à commissions juteuses cher à Chirac, maire du Paris d’alors.
C’était l’occase rêvée et l’idée de voyager à bord d’une Super-Goélette, qui est en quelque sorte un genre d’espèce de Polikarpov roulant. Côté bruit du moteur, la ressemblance est saisissante. Un troupeau de pelleteuses en plein raout amoureux. Et puis le pilotage, c’est kifkif. Freiner et tenir le cap, deux choses très difficiles. Pas délicates, mais complexes ; dangereuses. Totale concentration tout le temps, sinon la mort t’attend sur le platane.
— Y a pas de fachos dans ton coin, Oscar, si je me souviens bien ?
— Non, pas trop. Y en a, mais c’est pas le pays…
— Et les municipales, c’est comment à Puycity ?
— La gauche contre la gauche… enfin, si on peut appeler ça la gauche…
Je le sens bien, là, le plan. Vacances. Pré-retraite… Boules. Platanes.
Gabriel se faisait ces petites réflexions alors que Cheryl en écrasait ferme sur le siège du mort.
Il releva d’un revers de la main sa casquette de combat…
la suite c’est quand je veux et surtout quand je peux
NVDF : c’est sur ce petit fil que la première commentatrice en provenance de Rue89 est intervenue : « Révoutiona » alias… la bouse de Clichy.