Paru dans leJDD Samy Amimour a actionné sa ceinture d’explosifs à l’arrivée de la police. (DR)
Vendredi 13 novembre, peu après midi, Samy Amimour aurait été vu à Drancy (Seine-Saint-Denis). « Plusieurs jeunes l’ont croisé, rapporte un « grand frère » au JDD. Il leur a demandé s’ils avaient été à la mosquée, ils ont répondu que oui. Il leur a dit : ‘C’est bien.’ Alors, quand on a appris qu’il s’était fait exploser au Bataclan, on était encore plus sous le choc. »
Dans la petite cité de la Boule, paisible quartier HLM au centre de Drancy, les habitants sont en état de sidération. « On n’a rien vu venir », murmure une voisine. Elle se souvient d’un garçon « très gentil et très bien élevé, pas à traîner dans le quartier comme d’autres ». Quand elle a vu sa photo à la télévision, elle a failli ne pas le reconnaître « tellement il avait l’air sombre et dur… Ce n’était plus le même ». Elle n’ose pas aller frapper à la porte de l’appartement de la maman. « À un moment, je lui avais dit : « On ne le voit plus, Samy. » Elle m’avait répondu qu’il était parti dans le Sud », se rappelle la vieille dame. « Ces derniers temps, je sentais bien qu’elle m’évitait. »
Au volant du 148 pendant quinze mois
Samy Amimour n’avait « pas le profil » du candidat au djihad, insiste un proche. Son père est lettré, sa mère préside un club de patinage spécialisé en roller artistique. Sa sœur aînée est chargée de recrutement à la DRH d’une multinationale à Dubai. Sa cadette, très populaire dans le quartier, était animatrice en centre de loisirs. Une famille sans histoires, « un modèle de laïcité », insiste un proche. Lorsque, suspectés de vouloir partir en Somalie, Samy et deux de ses amis ont été placés sous contrôle judiciaire en octobre 2012, sa mère a demandé à plusieurs « anciens » de parler à son fils. « J’ai pensé que ce n’était pas la peine, admet l’un d’eux. Je lui ai dit qu’elle n’avait pas à s’en faire. Il était très réservé et timide, à tel point que lorsqu’il me disait bonjour, il baissait les yeux. »
Drancy a été doublement touchée : Samy Amimour, le tueur du Bataclan, et Emmanuel Bonnet, l’une de ses victimes, étaient tous deux originaires de cette ville (Julien Jaulin/Hanslucas pour le JDD).
Pourtant, entre les murs de l’appartement familial, Samy cherchait à imposer le port du voile à sa mère, s’était débarrassé des tortues et de l’aquarium du salon sous prétexte que c’était haram (« péché »). Ce serait pour cette même raison qu’il aurait démissionné de la RATP où on lui laissait pourtant la possibilité de faire ses cinq prières quotidiennes. Durant quinze mois, Samy Amimour a conduit le bus 148 qui rallie Bobigny à Aulnay-sous-Bois en passant par Drancy. C’est dans ce bus qu’il a rencontré Kahina, une jeune femme voilée de 17 ans qui l’a rejoint en Syrie il y a un an, selon les informations du Monde. Elle attendrait un enfant.
Kahina vivait au Blanc-Mesnil où Samy fréquentait une mosquée salafiste avec ses deux amis qui se sont radicalisés et sont partis en Syrie en même temps que lui. Un seul serait encore en vie. « On l’a vu samedi dernier à la télévision dans Enquête exclusive : il est devenu recruteur pour Daech », confie un habitant du quartier qui n’en revient toujours pas. « Nous avons eu les mêmes professeurs, fréquenté les mêmes mosquées… »
La cité derrière le mémorial de la Shoah
Bien que Drancy soit une des villes les plus pauvres du département, « elle a toujours été très tranquille, même au moment des émeutes de banlieue en 2005″, relève Hamid Chabani, professeur d’histoire-géographie et conseiller municipal. « Des petits merdeux de banlieue, on en a connu plein mais jamais cela n’aurait tourné comme ça à notre époque », rappelle Olivier Coloneaux, 49 ans, venu voir ses parents dans la cité de la Boule où il a passé sa jeunesse. Dans la tuerie du Bataclan, il a perdu un ami d’enfance : Emmanuel Bonnet, 47 ans, ancien chauffeur de bus lui aussi, puis formateur à la RATP. Manu a grandi derrière la cité de la Muette où se dresse le mémorial de la Shoah rappelant que ce vaste bâtiment en U était un camp d’internement durant la Seconde Guerre mondiale. « Il était new wave et moi funk, se souvient Olivier. On avait d’interminables discussions sur la musique et le cinéma, un peu sur le football. » Ils s’étaient retrouvés récemment via Facebook. « Je n’ai pas eu le temps de le revoir… Ni de lui dire qu’il n’avait pas été un très bon gardien de but. »
Deux fois par semaine, les deux copains prenaient le 143 pour se rendre à l’entraînement de football au club du Bourget où Emmanuel a joué jusqu’en Minimes et où Samy Amimour a été licencié une saison (1999-2000). Dans le bus et dans l’équipe, il y avait aussi Alain Chouet, devenu détective privé, expert en protection des entreprises, et toujours très impliqué dans la vie associative de Drancy. Son pote est mort à cause « d’un autre Drancéen, devenu taré de la doctrine du nihilisme. Manu était en mec en or qui se nourrissait de musique. Il m’avait invité à mon premier concert : Dire Straits, en 1985 à Bercy. » En mars, Alain Chouet avait adressé un SMS au député-maire de Drancy pour lui proposer une journée de sensibilisation autour du phénomène croissant de radicalisation dans la société et dans le domaine de l’entreprise. Il n’a jamais eu de retour.
« Chacun de nous peut être victime. Mais j’ai aussi l’impression que beaucoup de personnes auraient pu être à la place de Samy Amimour. C’est ce qui est le plus dur et le plus inquiétant, concède Farid Amari, adjoint au maire. Ce sont des enfants de France et qui n’ont pas tous été délinquants. » Il questionne l’absence de communication, le lien social qui se délite, la perte des espaces communs…
« Bonjour », en portugais, en arabe, en hébreu…
Il aurait voulu pouvoir parler autrement de la ville. « De ceux qui réussissent. Des jeunes qui montent leur entreprise ou qui s’investissent dans la vie associative et s’occupent des autres. » Comme Idriss Niang, diplômé en sciences de l’éducation et président de l’association Agir ensemble, qu’il a créée en 2009. Son local se trouve quasiment en face de l’immeuble où a vécu Samy Amimour. Avec cette association, environ 500 jeunes ont déjà obtenu leur Bafa, 59 élèves bénéficient d’un soutien scolaire. « Normalement on est complet mais quand des parents viennent pour qu’on aide leurs enfants, je n’arrive pas à leur dire non », sourit Idriss, fier d’avoir des élèves de toutes confessions et aucun problème. Sur un mur, « bonjour » se décline en portugais ou en turc, en arabe comme en hébreu. Sur un autre, des citations choisies, comme celle de Martin Luther King : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères. Sinon, nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. »
Christel De Taddeo – Le Journal du Dimanche
dimanche 22 novembre 2015