En 2010 et 2011, les Chinois de Belleville ont manifesté pour leur sécurité

Leur première manifestation, le 20 juin 2010, avait dégénéré et rappelé des épisodes violents du passé, notamment entre Juifs et Musulmans en juin 1968.

La seconde, le 19 juin 2011, fut pacifique et semble avoir porté ses fruits.

Mais les représentants de la Chine en furent écartés.

L’on notera au passage que l’extrême-gauche s’est toujours mêlée de tous ces conflits.

 

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/06/20/01016-20100620ARTFIG00171-paris-la-communaute-chinoise-denonce-l-insecurite.php

Paris : la communauté chinoise dénonce l’insécurité

 

  • Par lefigaro.fr
  • Mis à jour le 20/06/2010 à 23:04
  • Publié le 20/06/2010 à 23:03

 

«Sécurité pour tous», ont scandé les manifestants.

Une manifestation organisée à l’appel d’associations franco-chinoises a rassemblé 8500 personnes dimanche dans le quartier de Belleville, où les agressions visant les Asiatiques semblent se multiplier.

C’est la plus grande manifestation de la communauté asiatique jamais organisée en France, selon ses organisateurs. Des milliers de personnes d’origine asiatique, chinoise notamment, ont défilé dimanche dans le quartier de Belleville à Paris, pour protester contre les violences dont ils se disent la cible.

Environ 8500 personnes, selon la police, ont pris part à cette marche organisée par un collectif d’associations franco-chinoises, entre la rue de Belleville et la place du Colonel-Fabien. «Belleville, quartier tranquille», ont scandé les manifestants, alternant slogans en français et en chinois et portant tee-shirts et autocollants siglés «Sécurité pour tous». La fille adoptive de Jacques et Bernadette Chirac, Anh Dao Traxel, d’origine vietnamienne, s’est jointe au cortège.

Depuis plusieurs mois, selon le collectif, les agressions et les vols violents visant les Asiatiques se multiplient dans l’est parisien. En particulier dans le quartier de Belleville, métamorphosé ces dix dernières années par un afflux d’immigrés asiatiques.

Échauffourées en marge de la manifestation

«Nous nous sommes décidés à descendre dans la rue après une agression lors d’un banquet de mariage à Belleville au début du mois», a dit Huong Tan, un porte-parole du collectif, inquiet que la situation ne dégénère «si les autorités ne réagissent pas». Car pour la première fois, explique-t-il, «quelqu’un de la communauté a répondu à la violence par la violence. Nous ne voulons pas que ça se reproduise». «Les agresseurs sont souvent des groupes de jeunes qui habitent ici», affirme-t-il.

Le maire du XXe arrondissement, Frédérique Calandra, a incité la communauté à mieux s’organiser: «Il faut que nous ayons des interlocuteurs». Le collectif , lui, réclame «des actions concertées et coordonnées» entre le préfet de police et les maires, dans ce quartier à cheval sur quatre arrondissements de la capitale, afin «de renforcer les dispositifs de sécurité et de prévention».

En marge de la manifestation, des échauffourées ont éclaté, donnant lieu à l’interpellation de trois personnes. Selon des témoignages recueillis sur place, les incidents auraient été provoqués par le vol du sac d’une manifestante. Intervenues une première fois, les forces de l’ordre ont essuyé des jets de projectiles, auxquels elles ont répondu par des gaz lacrymogènes. Après leur départ, des petits groupes de manifestants ont pris à partie des automobilistes et des cyclistes et ont déplacé des voitures garées afin de bloquer la circulation, ce qui a entraîné une nouvelle intervention des gendarmes mobiles. Peu après 22h00, le calme était revenu.

Avec AFP

 

http://www.marianne.net/Belleville-Chinois-contre-Africains_a194405.html

Belleville: «Chinois» contre «Africains»

 

Vendredi 25 Juin 2010 à 5:01

Arnaud Boisteau et Bénédicte Charles – Marianne

 

Dimanche 20 juin, une manifestation « pour la sécurité » dans le quartier de Belleville rassemblait des milliers d’asiatiques. Ils protestaient contre les vols et agressions dont ils seraient continuellement victimes. Et montraient du doigt une autre communauté, celle des immigrés d’origine africaine… Reportage au coeur d’un conflit inter-ethnique en plein Paris.

Du jamais vu : dimanche dernier, des milliers de Chinois ont manifesté à Paris. 8500 personnes selon la police, deux ou trois fois plus selon les habitants de Belleville, où ils ont défilé avec un mot d’ordre plus surprenant encore : « Sécurité pour tous ». Dans ce quartier populaire à la croisée des XXe, XIXe, XIe et Xe arrondissements parisiens, surnommé « le petit Chinatown » (le « grand » étant dans le XIIIe), la population immigrée d’origine asiatique, essentiellement chinoise, s’estime harcelée par des bandes de jeunes voyous du coin. Vols à la tire et agressions diverses seraient devenus le quotidien des Chinois de Belleville… qui accusent des jeunes souvent d’origine africaine d’être responsables de la majeure partie des faits commis. Bref, après avoir été le théâtre, en 2007, d’affrontements entre jeunes juifs et jeunes d’origine maghrébine, le quartier connaîtrait-il un nouveau conflit ethnique ?

« Vivre en France sans peur », « stop à la violence », « Belleville quartier tranquille », proclamaient les banderoles. Comme pour justifier ces revendications, des échauffourées ont éclaté en fin de journée, entre des manifestants et un groupe d’une dizaine de jeunes. Pourquoi ? Feng, 18 ans, a sa version. La jeune fille, qui révise son bac dans la boutique de traiteur tenue par ses parents rue de Belleville, accepte de nous la raconter, sous l’œil attentif de sa mère : « On manifestait pacifiquement pour dire aux gens notre ras-le-bol par rapport à tous ces actes d’incivilité dont nous sommes victimes, quand une bande de dix jeunes est rentrée dans la manifestation. Ils ont commencé à taper sur des gens. Ils ont aussi volé le sac d’une dame. Les Chinois ont récupéré le voleur et l’ont confié à la police, qui l’a relâché immédiatement. C’est pour ça que nous étions énervés car ça se passe toujours comme ça ».

Le pouvoir économique de la communauté chinoise de Belleville, qui, en un peu plus de cinq ans, a profondément modifié le quartier où fleurissent désormais les enseignes en mandarin, est important et attise les convoitises. D’autant que les Chinois sont réputés préférer les espèces à tout autre moyen de paiement. Ce qui fait d’eux des cibles idéales pour tous les voleurs à la tire et autre braqueurs de caisses enregistreuses à la petite semaine. « Il est pas rare de voir des gamins d’origine africaine voler le sac des femmes asiatiques qui tentent de les rattraper », raconte un commerçant du haut-Belleville.  D’autres riverains affirment « voir souvent des ados africains rentrer dans les épiceries chinoises et jeter des pétards avant de partir en courant ». La plupart du temps, les victimes ne déposent pas plainte. Soit parce qu’elles ne parlent pas le français, soit parce qu’elles sont en situation irrégulière.

Le pire — et le plus mal ressenti par la communauté chinoise — ce sont les vols au cours des mariages. Chaque samedi et dimanche, les Chinois organisent des mariages où les cousins de banlieue affluent au volant de BMW ou de Mercedes, formant des convois tout sauf discrets. Durant les banquets, la tradition veut que les invités remettent aux jeunes mariés des enveloppes rouges (appelées hong bao) contenant de l’argent liquide. Au total, cela peut représenter 7000 à 9000 euros. Ce sont ces sommes que volent régulièrement des jeunes qui viennent rôder autour des mariages. Le plus souvent avec violences. Et devinez qui sont les jeunes accusés de piquer ainsi la dot des mariés chinois ? Les jeunes d’origine africaine.

L’affaire est donc en train de virer sérieusement au conflit ethnique même s’il faut bien rappeler que ce n’est pas la seule raison, la précarité étant la raison première. Il suffit d’ailleurs de se promener rue de Belleville pour sentir ce climat délétère, parfaitement palpable, même en plein après-midi. Les passant marchent et se retournent très régulièrement. Les échanges de regards sont éloquents : un homme d’origine africaine passe devant un Chinois, le premier lui jette un regard insistant et lui fait baisser les yeux. La scène se reproduit à chaque coin de rue. Ambiance. « Je suis attristée de dire ça car je suis de gauche mais il s’agit évidemment d’un conflit inter-ethnique », conclut une riveraine.

Les Chinois ne sont cependant pas les seuls à mettre en cause, et de façon fort injuste, la population d’origine Africaine. Les autres habitants aussi n’hésitent pas à les charger. « Les Chinois sont des travailleurs, ils sont peut-être un peu trop entre eux mais ils ne dérangent personne. Ces jeunes, eux, ne font rien», explique ainsi doctement un kiosquier du quartier. Des considérations qui résument parfaitement l’état d’esprit de bien des riverains.

« Travailleur », c’est sans doute le mot qui revient le plus souvent dans la bouche des riverains lorsqu’il s’agit des Chinois. Un mot qui, cependant, masque mal le malaise : les Chinois ne sont, au fond, guère plus appréciés que les Africains.

« Ils sont mal polis, ne vous disent jamais bonjour même quand vous entrez dans leurs boutiques, ils crachent sans cesse par terre et ils font des trucs bizarres derrière les immeubles », affirme une habitante..

Pourtant, le quartier a déjà été confronté à maintes vagues d’immigration. Ancien faubourg de la ville de Paris, longtemps resté le poumon ouvrier de la capitale, il a accueilli depuis le début du 20ème, dans le désordre, les juifs tunisiens, les Portugais, les Maghrébins, les Africains… Et dès les années 1980, les Asiatiques. Ces mêmes Asiatiques ont peu à peu racheté les commerces du bas Belleville. D’où de nouvelles vagues d’immigration asiatique. La dernière aurait été celle de trop pour les habitants non sinophiles. Elle daterait de 5-6 ans tout au plus. Que ce soit les passants ou les commerçants, tout le monde dans le quartier s’accorde sur un point: « C’était mieux avant ».

Certes, il y avait déjà les petites bandes des rues adjacentes à la rue de Belleville, à commencer par la rue Piat, qui mène directement au Parc de Belleville, avec un panorama incroyable. Là, se massent des groupes de jeunes. C’est leur QG, et le point de départ des expéditions de vols à la tire dans les rues qui longent le parc  de Belleville à l’Ouest. Certes, il y avait déjà du deal, et même beaucoup. Mais l’ambiance n’était pas plombée à ce point.

« Les Chinois cherchent les problèmes, c’est eux qui foutent la merde , ils ne se mélangent pas aux autres habitants. Même quand la police vient ils préfèrent régler leurs comptent entre eux», s’énerve une commerçante. Une rancœur qui s’explique : elle est franco-tunisienne, vit en France depuis 1969… et n’a obtenu ses papiers que l’an dernier. C’est à dire en même temps que son employée chinoise, qui, elle était arrivée seulement quelques mois auparavant. Une histoire bien personnelle mais symptomatique du malaise ressenti par certains riverains, qui parlent de « population avantagée  ». C’est précisément ce que ressentent les bellevillois d’origine africaine, qui reprochent, en sus, aux Chinois de ne faire aucun effort pour s’intégrer… Mais derrière tous ces reproches en pointe un autre, plus difficile à formuler sans doute : pour les autres communautés du quartier, les Chinois ont surtout commis l’erreur d’avoir négligé la règle d’or de l’immigration en France, que résumait ainsi Malek Boutih lorsqu’il était encore président de SOS Racisme : «Le dernier arrivé ferme la porte».

 

http://www.slate.fr/story/23897/belleville-pas-si-explosif

Belleville: un mélange pas si explosif

 

Noémie Mayaudon

France

29.06.2010 – 0 h 00, mis à jour le 30.06.2010 à 14 h 19

En 2010 et 2011, les Chinois de Belleville ont manifesté pour leur sécurité dans Attentats

Malgré les tensions, les habitants de Belleville et les sociologues s’accordent à penser que le quartier n’est pas en danger.

Des milliers de Chinois ont défilé dimanche 20 juin dans le quartier parisien de Belleville. Une première pour cette «communauté» – ou plutôt «ces communautés», habituellement très discrète(s). A l’appel d’associations franco-chinoises, ils ont manifesté au cri de «Sécurité pour tous» et «Belleville, quartier tranquille». Ils se disent victimes d’agressions récurrentes et de vols à l’arrachée de la part de bandes de jeunes. La manifestation s’est terminée par des échauffourées impliquant une cinquantaine de jeunes manifestants asiatiques et une dizaine de jeunes d’origine maghrébine et africaine. Déjà des voix s’élèvent: Belleville la métissée serait touchée par des tensions communautaires. Est-ce la fin d’un modèle de coexistence pacifique?
Ces événements contredisent l’image d’une cohabitation harmonieuse et réussie dans le quartier de Belleville. Mais cette image, qui repose en partie sur l’histoire du quartier, tient plus du fantasme que de la réalité. Il était une fois… dans le passé, Belleville accueillait des grandes fêtes viticoles. Les bourgeois parisiens venaient alors s’encanailler dans ce quartier ouvrier, rattaché à Paris en 1860. Bastion de la Commune de Paris, il véhicule toujours des valeurs de communion et de partage.

Ah l’âme de Belleville!  Le fantasme de la mixité culturelle et sociale comme dans les paroles de la chanson Viens voir Belleville sortie en 1988 et chantée par des enfants du quartier.

On n’est pas de ce pays-là
On vient d’ailleurs, de tout là-bas
D’Afrique, Asie, Portugal
Des Antilles ou de l’Espagne.
On n’a pas les mêmes histoires
Nos langues n’ont rien à voir
Pourtant nous sommes voisins
Même si nos pays, c’est loin.
{refrain :}
Viens voir Belleville, et tu comprendras
Viens voir Belleville, qu’en changeant de maison
Viens voir Belleville, tu changes de pays
Allez viens, tu vois c’est chouette

Une joyeuse mixité? Patrick Simon, un sociologue de l’Ined qui a longtemps travaillé sur le quartier, parle lui d’une «fragile mosaïque», culturelle et sociale, qui s’est construite au rythme des différentes vagues d’immigration. D’abord polonaise, arménienne, turque, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, puis kabyle d’Algérie et séfarade dans les années 1950 et 1960. Les décennies suivantes verront l’installation de la population asiatique.

C’est cette vague d’immigration qui va modifier visiblement la physionomie du quartier. Selon Marie Poinsot, rédactrice en chef de la revue Hommes & Migrations, leur capacité financière étant importante, ils achètent beaucoup de commerces. Les années 1980 voient également un nombre important d’immigrants d’Afrique noire s’installer à Belleville. Derniers arrivants en date, la catégorie un peu floue des «bobos», d’abord des classes moyennes (intermittents du spectacle, travailleurs sociaux), ensuite, depuis dix ans, des catégories supérieures séduites par ce que Patrick Simon dénomme un «effet de décor». Un concept qui renvoie au cosmopolitisme de Belleville, apprécié comme cadre de vie.

Toutes ces communautés cohabitent relativement pacifiquement. Ce qui n’exclut pas, bien sûr, des tensions ponctuelles.

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Au-delà des tensions ponctuelles, un événement a cristallisé la peur des Bellevillois. En 1968, alors que les grèves prennent fin, raconte Patrick Simon, «un affrontement entre juifs et arabes marque profondément les esprits». C’est une banale partie de dés entre un juif tunisien et un Algérien qui aurait dégénéré. S’en suit une bataille générale, des boutiques brûlées, l’intervention des CRS pendant 10 jours et une grande émotion. D’après Patrick Simon, cette impression que le quartier était sur le fil a servi durablement d’exemple.

Quarante ans plus tard, comme en 1968, le contexte social est tendu. L’activité économique sur place tend à se réduire. Traditionnellement lieu de résidence et lieu d’activité, Belleville perd progressivement de son dynamisme. Et pourtant, ceux qui connaissent le quartier sont persuadés que, malgré les tensions et les crispations, le modèle de coexistence pacifique va perdurer.

A chacun a son espace

En fait, comme il n’y a pas une communauté chinoise, il n’y a pas un Belleville. Si on s’éloigne de la rue de Belleville, en direction de Ménilmontant, peu de chances de croiser un membre de la communauté asiatique. Globalement, dans le bas Belleville, se situe la population noire africaine. Autour de la station de métro Couronnes, on trouve des bars et des cafés tunisiens, marocains.

Les choses dégénèrent dès lors que l’on empiète sur le territoire de l’autre. Bien sûr, cela n’exclut pas qu’individuellement les membres des différentes communautés entretiennent des relations.

Les associations

La régulation des tensions s’opère grâce au tissu associatif. Le quartier de Belleville est très actif de ce point de vue. L’action sociale, culturelle, sportive est l’une des plus denses de Paris. Selon Mohamed Ouadanne, responsable de coordination de l’association Trajectoires, ce dynamisme correspond à une demande effective de la population. Les initiatives ont tendance à s’amplifier pour générer des débats, des rencontres. Aux sceptiques, Mohamed Ouadanne répond que plus il y a d’initiatives, plus il y a de chances qu’il y ait des résultats. Les conseils de quartier, sans exagérer leur importance, concourent aussi à ce maillage étroit du quartier.

Enfin, créé en 2002 à l’initiative de Danielle Simonnet, adjointe au maire du 20e arrondissement, le Conseil de la citoyenneté des habitant-e-s non communautaires du 20e arrondissement (CCHNC) est un organe qui vise à favoriser la participation des résidents étrangers à la vie municipale.

L’école joue également un rôle de régulateur social. C’est un des lieux de socialisation où les différentes communautés se côtoient. A Belleville, l’histoire du quartier est ancrée dans la mémoire collective. Parmi les manifestants, dimanche 20 juin, certains arboraient un T-shirt «J’aime Belleville», symbole de leur attachement au quartier. Sans doute parce qu’il y a une volonté d’évoluer sans faire table rase du passé. «Contrairement à certaines communes dans lesquelles on rase et démolit des barres d’immeubles, Belleville est un quartier où l’on essaie de conserver l’habitat social», précise Mohamed Ouadanne.

Un  problème de sécurité plus que de communauté?

Interpréter les événements de dimanche 20 juin comme la manifestation de tensions communautaires n’est pas faux, mais c’est une explication partielle. Patrick Simon avait déjà réalisé des entretiens avec des habitants de Belleville dans les années 1980 au sujet de la présence chinoise. A ce moment-là, une partie de la population maghrébine portait déjà un regard critique sur la population asiatique, une «communauté secrète qui ne se mélange pas». Arrivés en même temps que les Chinois, les Africains sont cependant moins visibles. Pas d’implantation commerciale, donc leur présence est moins évidente pour qui observe la vie du quartier.

D’autres facteurs entrent en compte. Les Chinois sont une cible privilégiée car ils ont la réputation de transporter beaucoup d’argent liquide sur eux. Mais la communauté asiatique elle-même est divisée sur les explications. Ils partagent un constat: les agressions se multiplient. Marie Poinsot, rédactrice en chef  de la revue Homme et Migration, rappelle qu’une partie de la communauté chinoise est impliquée dans le trafic de drogue et la prostitution. A ce titre, il peut s’agir de représailles qui rejaillissent sur toute la communauté. Mais reste à savoir s’il s’agit de racisme ou d’une insécurité croissante.

Noémie Mayaudon

L’explication remercie Patrick Simon, sociologue à l’Ined, Marie Poinsot rédactrice en chef de la revue Hommes & Migrations et Mohamed Ouadanne, socioanthropologue et responsable projets et coordination de l’association Trajectoires.

À LIRE ÉGALEMENT SUR SLATE: «Chinois de France» ne veut rien dire

Photo: Paris, Belleville / jane vc. via Flickr License CC by

Noémie Mayaudon

 

http://www.chine-informations.com/guide/quartier-chinois-de-paris-belleville_207.html

Quartier chinois de Paris Belleville

 

© Chine Informations – La Rédaction

 

Belleville est un vieux quartier populaire d’immigration. Il s’apparentait au quartier de « La Goulette » de Tunis. Le boulevard de Belleville a parfois, les soirs d’été, avec ses terrasses de restaurants orientaux, des faux airs de cette banlieue chic de Tunis. Le carrefour de Belleville est formé par quatre quartiers administratifs de quatre arrondissements différents dans lesquels la proportion d’étrangers de toutes origines est plus forte que la moyenne parisienne.

L’implantation des commerce asiatiques est la plus récente. Elle se concentre principalement dans la partie neuve reconstruite vers le milieu des années 70, délimitée par les rue de Belleville, Rampal, Rebeval et Jules-Romains et depuis peu dans les immeubles de haut standing ouverts à l’habitation depuis 1983 et circonscrits par les rues de Belleville, Jules-Romains, Rebeval et le boulevard de la Villette. C’est dans cet îlot que se sont installés depuis 1985 des Asiatiques exerçant des professions libérales.

Plus près du centre de Paris, dans un quartier de forte tradition commerciale, Belleville est un espace convoité par plusieurs grands groupes d’entrepreneurs Chinois, parmi lesquels le groupe Paris-Store qui est l’un des plus grands restaurants chinois de Paris.

L’évolution du commerce dans le quartier

L’installation de commerces asiatiques est liée à l’arrivée des réfugiés de l’ancienne Indochine. Presque tous les commerçants appartiennent aux minorités d’origine chinoise. Cette implantation a commencé en 1978 avec la création d’un restaurant rue de Belleville dans un îlot reconstruit.
En 1979, un commerce d’alimentation asiatique s’est installé rue Jules-Romains ( transformé depuis en commerce de produits non alimentaires), très vite suivi dans la même année et l’année suivante par quatre autres commerces du même type rue de Belleville.

Le processus d’implantation était entamé. Ce qui est remarquable concerne les premiers établissements qui se sont installés dans des espaces commerciaux neufs et inoccupés depuis une, deux, ou trois années. Ici, comme dans le 13eme, les asiatiques ont bénéficié du semi-échec d’un nouvel urbanisme commercial ; le retard de l’utilisation de ces nouveaux espaces est d’autant plus incroyable qu’à Belleville l’activité commerçante est fébrile.

Au début des année 80, l’implantation se poursuit et s’étand vers des secteurs de bâtis très différents. Puis la barrière des boulevards de la Villete et de Belleville est franchie : des restaurants ouvrent rue Civiale, rue Louis Bonnet, rue de la Présentation, dans un secteur fortement dégradé.

La multiplicité des ancrages

Historiquement marqué par une forte concentration d’immigrés de plusieurs nationalités, Belleville connait depuis les dix dernières années de profonds changements. De vastes programmes immobiliers ont eu pour conséquence directe la hausse du prix des logements et la disparition de certains commerces ethniques en crise. La population du quartier s’est renouvelée avec notamment l’arrivée des Chinois et d’autres asiatiques. La présence pourtant forte des commerçants Chinois du Cambodge n’empêche pas l’implantation d’autres groupes venant de Chine continentale, de Hong Kong et de Thailande.

La cohabitation entre les Asiatiques de différentes ethnies et les habitants immigrés du quartier, dont un grand nombre sont Maghrébins, Africains, Turcs, est une des caractéristiques de Belleville. D’abord les plus grandes surfaces commerciales de Belleville sont progressivement achetées par des Chinois ( le cas du surpermarché Barbès en est un exemple).

Ensuite, l’implantation des familles arrivées récemment de Chine continentale favorise le développement des ateliers de confection. La présence de ces nouveaux arrivants qui représentent un bassin de main d’oeuvre bon marché a des conséquences économiques importantes dans ce quartier où les prix des produits sont particulièrement bas.

 

http://cdlm.revues.org/135

Juifs et musulmans à Belleville (Paris 20e) entre tolérance et conflit

 

Daniel Gordon
p. 287-298

 

Résumés

Belleville, quartier de l’Est parisien, est une implantation dans le Nord de l’ancien cosmopolitisme méditerranéen, avec une forte présence de maghrébins juifs et musulmans. Mais la coexistence n’a pas été toujours été facile, notamment lors des émeutes de juin 1968 qui ont opposé les deux communautés. Cet article interroge cet événement comme révélateur du modèle de cosmopolitisme local. Dans le contexte agité des événements de mai 1968 et du premier anniversaire de la Guerre des Six Jours, les divers observateurs ont attribué l’émeute de Belleville à des tensions entre éternels ennemis, à un complot sioniste, à un complot arabe, ou à un complot capitaliste selon leur goût.

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Texte intégral

 

Introduction

1Le cosmopolitisme, idéal universel, s’inscrit néanmoins dans un cadre local, au sein de quartiers urbains précis. Belleville, quartier très symbolique de l’Est parisien, est un exemple particulièrement fort de ce phénomène, Pour l’essentiel, l’identité bellevilloise repose sur deux bases. Tout d’abord, comme fief ouvrier, ancré à gauche depuis la Commune de Paris et au-delà1, et ensuite comme lieu cosmopolite, terre d’accueil des immigrés, pendant tout le XXe siècle.

2Durant les années 1960, deux migrations trans-méditerranéennes ont peuplé Belleville : les travailleurs immigrés maghrébins, algériens pour la plupart, et les juifs tunisiens arrivés après l’indépendance tunisienne. C’est un exemple relativement rare donc, de coexistence judéo-arabe dans un même quartier pendant la période post-coloniale. Le sociologue Patrick Simon parle même d’un « mythe de Belleville »2, car les habitants perçoivent leur quartier comme exceptionnellement tolérant et cosmopolite. On pourrait qualifier Belleville d’implantation dans le Nord du cosmopolitisme perdu de la Méditerranée d’hier.

3Mais s’agit-il d’un cosmopolitisme « vrai » où la mixité et le métissage deviennent la règle, ou plutôt d’un cosmopolitisme de façade, où les communautés distinctes se côtoient et en général se tolèrent, mais ne se mélangent pas ?

4Nous posons donc la question du communautarisme parce que, lorsque nous nous sommes rendus à Belleville pour la première fois en 1998, ce qui nous a frappé, c’est l’existence d’une très forte ségrégation. Il est souvent dit en France, que le communautarisme est un phénomène anglo-saxon, mais il existait là, sous nos yeux, à Paris. Sur le boulevard de Belleville, il y avait les commerces arabes d’un côté, les commerces juifs sépharades de l’autre, et plus haut, les commerces chinois, comme s’il existait des lignes de démarcation très strictes entre eux. Il n’y avait personne d’apparence européenne. C’est un point de vue superficiel sans doute,3 mais impressionnant tout de même.

L’émeute de Juin 1968

5Le modèle bellevillois de cosmopolitisme repose-t-il sur des fondations fragiles ? Parfois en France on utilise le nom même de Belleville comme synonyme de communautarisme4. Il s’y est produit pendant les événements de mai-juin 1968, une émeute assez grave entre juifs et arabes. Evénement atypique sans doute, mais peut-être révélateur non seulement de la question de l’immigration et de l’engagement politique5 mais aussi de la question du cosmopolitisme. Ce qui caractérise une émeute, ce n’est pas seulement la violence physique en tant que telle, mais également les divergences d’interprétation entre les différents observateurs. Quand la violence commence, des « spécialistes », selon l’historien Paul Brass, la politisent à leurs propres fins, et font d’une simple bagarre une émeute politique6. Nous analyserons ici l’émeute de 1968 comme révélateur du rôle de ces « spécialistes », et les différents points de vue souvent contradictoires sur le cosmopolitisme bellevillois.

6Que s’est-il donc passé ? Le dimanche 2 juin 1968, une discussion autour d’une partie de cartes dans un café oppose deux tunisiens, un juif et un musulman. Le perdant a, semble-t-il, refusé de payer son dû au gagnant l’accusant d’avoir triché. Les autres personnes présentes dans le café se sont jointes à la bagarre qui rapidement a tourné à l’émeute. Les fenêtres des commerces des différentes communautés sont brisées, la police arrive et procède à des arrestations. Les 3 et 4 juin, l’émeute continue : une cinquantaine de commerces sont brûlés ou saccagés, on tente d’incendier la synagogue Julien Lacroix et, selon certains, on déplorerait même un mort.

7Les émeutiers sont des hommes jeunes, juifs tunisiens contre musulmans algériens, marocains et tunisiens. On utilise pour se battre des bouteilles, des pierres, des barres de fer, des couvercles de poubelles; certains parlent aussi de cocktails Molotov, voire de mitraillettes, ce que d’autres démentent7.

8Des appels au calme de divers acteurs extérieurs sont lancés par les députés communistes locaux, les organisations des droits de l’homme, mais plus important, semble-t-il, par ceux qui se considèrent comme « chefs de communautés ». Côté juif, ce sont les autorités religieuses de la synagogue, côté arabe, les représentants des gouvernements maghrébins. Le rabbin de la synagogue visite le quartier aux côtés de l’ambassadeur tunisien8. Les autorités algériennes interviennent via leur l’ambassadeur et via l’Amicale des Algériens en Europe. Cette émeute était considérée comme suffisamment grave pour que Abdelaziz Bouteflika, alors ministre algérien des Affaires Etrangères convoque l’ambassadeur français à Alger pour des entretiens, et pour que le Président Boumedienne lui-même en discute avec le chef de l’AAE9. Un autre groupe de « spécialistes » est intervenu, ce sont les étudiants français d’extrême- gauche, dont une centaine se sont dirigés sur Belleville depuis le Quartier Latin10. Et bien sûr la presse française s’est emparée de cette affaire.

9Chacun de ces acteurs a eu sa propre théorie pour expliquer l’émeute. Il y a eu quatre explications différentes, et toutes seront révélatrices.

I – D’éternels ennemis ?

10La première explication, était exposée dans le journal Le Figaro : les arabes et les juifs sont des éternels ennemis, à Belleville comme ailleurs11. Laissons de côté la question controversée des relations judéo-arabes dans les pays d’origine, et regardons la situation locale, une situation qui, nous semble-t-il, ne permet pas de soutenir la théorie de la rivalité permanente.

11Tout d’abord si les relations sont si détestables que cela, pourquoi choisit-on d’habiter le même quartier? De plus les deux protagonistes dans le café ne faisaient-ils pas preuve d’originalité parmi les tunisiens juifs et musulmans en acceptant de se fréquenter ? (ce n’était pas le cas pour les algériens et les marocains). En effet, d’autres juifs ont même critiqué les juifs tunisiens d’être trop arabophiles, parce que le 2 juin, fête juive, ils ont joué aux cartes avec les arabes plutôt que de se rendre à la synagogue.

12Les deux communautés avaient en commun une langue, l’arabe, et un mode de vie « à l’orientale ». Un mode de vie stigmatisé par les Français, y compris les juifs non bellevillois, mais pas si éloigné de celui de l’autre communauté, avec laquelle on partageait les repas lors des fêtes religieuses.

13A Belleville, beaucoup d’arabes faisaient leurs courses dans les magasins juifs et mangeaient dans les restaurants juifs. Un boucher cacher déclarait que sa clientèle était quasi-entièrement musulmane. Environ 80 musulmans étaient employés dans les entreprises juives, permettant aux restaurants, par exemple, d’ouvrir le samedi12. Néanmoins, beaucoup de travailleurs immigrés habitant Belleville travaillaient plutôt en usine que dans des commerces locaux. Il y avait donc relativement peu de concurrence ou de conflits économiques directs entre les deux groupes.

14Il ne faut pas exagérer non plus l’inégalité entre les deux groupes. Selon Claude Tapia, auteur de nombreux travaux sur Belleville, 66% des juifs tunisiens bellevillois pouvaient être classés comme prolétaires, ayant souffert d’un déclassement par rapport au statut qui était le leur en Tunisie.13 L’hebdomadaire Afrique-Action a publié une photo de deux garçons bellevillois, accompagnée de la légende. « Lequel est juif, lequel est musulman ? La misère est le même. »14

15Ce sont les observateurs extérieurs qui ont attribué à l’émeute des origines conflictuelles lointaines. Pour Le Figaro, l’Etat français était un arbitre neutre entre deux groupes qui se détestaient depuis toujours. C’est un point de vue républicain peut-être, mais aux accents colonialistes : on justifie la présence coloniale par l’incapacité des différents groupes d’indigènes à régler leurs conflits entre eux. Il faut noter les racines coloniales du modèle d’encadrement des immigrés : le 3 juin, Maurice Grimaud s’est rendu à Belleville en compagnie du commandant Brasseur du Service d’assistance technique (SAT). Le SAT avait été l’outil favori de Maurice Papon pendant la guerre d’Algérie pour lutter contre la Fédération de France du FLN,15 et le voilà en opération avec son successeur Grimaud, réputé plus libéral.

16Par contre, les immigrés bellevillois ont minimisé ces tensions et comme l’a déclaré un cafetier juif :

« Nous sommes tous frères. Nous nous connaissions à Tunis et nous vivons ensemble »16.

17On trouvera des échos de ces sentiments dans des récits d’histoire locale, comme par exemple, « Belleville mon village » de Clément Lepidis. Pour Lepidis, Belleville est avant tout cosmopolite et tolérant, et ce sont les autorités extérieures qui sont intolérantes. Les souffrances des juifs de Belleville pendant le gouvernement de Vichy et des arabes pendant la guerre d’Algérie s’inscrivent pour lui dans un héritage commun17. Sans doute y a-t-il ici beaucoup de romantisme, du mythe de Belleville, car Lépidis écrivait pour défendre Belleville contre les promoteurs immobliers qui menaçaient ce quartier populaire pendant les années 198018. On ne souffle d’ailleurs pas mot de l’émeute de juin 1968 dans le livre de Lepidis.

18La réalité bellevilloise se trouvait sûrement entre le « conflit permanent » du Figaro et le « lieu cosmopolite » du mythe local.

II – Un complot sioniste ?

19La deuxième explication est donnée par les autorités algériennes. L’émeute serait une provocation des sionistes pour fêter le premier anniversaire de la fin de la Guerre des Six Jours et de la victoire israélienne. El Moudjahid, journal du FLN, évoquait des « sionistes armés ». Si l’Amicale des Algériens en Europe était d’accord, elle refusait de faire l’amalgame entre les juifs de Belleville et les groupes sionistes.19

20Pourquoi a-t-on parlé de conspiration sioniste ? Après 1967, les idées sionistes trouvent un écho parmi les juifs maghrébins de France, qui, jusque là, n’étaient pas vraiment des sionistes enthousiastes. A l’époque de l’indépendance algérienne, la presse israélienne avait reproché aux juifs maghrébins d’émigrer en France plutôt qu’en Israël. Mais dans les années 1967, le sionisme se développe : les associations juives d’assistance sociale se transforment de plus en plus en organisations politiques.20 A Belleville, on ne relève que 61 émigrants en Israël en 1967, mais 220 en 1968 et 232 en 1969, et pour la plupart des jeunes de 18 a 20 ans,21 ayant le même âge que les émeutiers de juin 1968.22

21Si certains jeunes gens d’origine juive, et même juive maghrébine, se rapprochaient des positions pro-palestiniennes des groupuscules d’extrême- gauche, comme en témoigne l’autobiographie de Benjamin Stora,23 il s’agissait là de jeunes qui s’éloignaient de leur racines juives pour rejoindre le monde internationaliste du gauchisme.24 Pour ceux qui restaient attachés au judaïsme, être juif signifiait, de plus en plus souvent, être partisan d’Israël, ce qui n’était pas le cas auparavant.

22Il n’existe bien sûr aucune preuve d’un quelconque complot, téléguidé depuis Israël, visant à déclencher l’émeute de Belleville, mais il est certain qu’existait côté juif une forme d’organisation, révélant l’aspect non spontané des événements une fois l’émeute commencée. Le Jewish Chronicle de Londres a fait allusion à une réunion privée où l’on reconnaissait que, les jeunes juifs ayant participé a l’émeute, avaient été placés sous le commandement de jeunes cadres, expérimentés et organisés, dans des unités d’autodéfense25.

III – Un complot arabe ?

23Une troisième explication était à l’opposé de la seconde : selon certains porte-paroles juifs de Belleville, l’émeute aurait été fomentée par des arabes de l’organisation palestinienne Al Fatah, pour venger la défaite de 1967. On parlait d’un mot d’ordre qui circulait verbalement et dans un tract, appelant les musulmans à éviter les juifs à l’approche du premier anniversaire de la guerre26. Des reportages à sensation suivirent dans la presse conservatrice, avec des titres du type : « A Belleville, un tract arabe appelle à la ‘‘guerre sainte’’ contre les juifs »27.

24Comme pour la piste précédente, le contexte international explique en partie pourquoi on en est arrivé à cette théorie de complot. Al Fatah a attiré l’attention du monde en mars 1968, lors de son premier combat contre les forces israéliennes à Karameh dans la vallée du Jourdain. L’organisation a commencé également, dès cette année, à établir des contacts en France, avec des intellectuels tel Maxime Rodinson, et des hommes politiques tel Michel Rocard28. On peut donc comprendre pourquoi les juifs de Belleville ont perçu Al Fatah comme une menace, présente partout, tout comme les algériens voyaient des sionistes partout.

25Mais encore une fois, il n’y a probablement pas eu de complot. La presse n’a rendu compte de ce fameux tract que le 5 juin, trois jours après le début de l’émeute, ce qui peut être expliqué par la controverse survenue le 4 juin dans la Sorbonne occupée. Il y a eu, semble-t-il, un incident au sujet de tracts, entre les réprésentants d’Al Fatah et ceux du MAPAM, parti sioniste de gauche29, ce qui aurait provoqué l’affaire des tracts, attribués a Al Fatah, les étudiants algériens ayant démenti avoir écrit ces tracts30.

26Il se pose également pour ces deux explications –complot sioniste, complot arabe– un problème de dates. Les émeutes ont commencé 3 jours avant l’anniversaire de la guerre, et se sont achevées avant l’anniversaire lui-même, malgré un supplément spécial d’El Moudjahid sur la guerre le 5 juin, avant l’aggravation de la tension au Moyen-Orient, avec les batailles aériennes du 4 juin et les émeutes de Jérusalem le 5 juin et malgré l’assassinat de Robert Kennedy, candidat à l’élection présidentielle aux Etats-Unis, apparemment par un palestinien qui lui reprochait son soutien à Israël.

27Pour les deux camps, cependant, l’insécurité a été bien réelle. Les algériens redoutaient une montée des activités sionistes en France, perçues comme une menace dans le contexte de l’après-Guerre des Six Jours, où Israël s’était révélé comme la puissance numéro un au Moyen-Orient et les Etats arabes voisins impuissants. Les juifs tunisiens quant à eux redoutaient une montée de l’antisémitisme, tout d’abord avec la volte-face de la politique étrangère française, jadis pro-israélienne, après les déclarations de de Gaulle en 1967 sur Israël « peuple dominateur », et ensuite les tentatives d’accuser mai 68 d’être une conspiration juive31. Dans ces circonstances confuses, l’émergence d’Al Fatah fournissait un très bon bouc émissaire pour expliquer les émeutes de Belleville.

28De plus, pour les chefs des deux communautés, il était plus facile d’accuser l’autre plutôt que de critiquer le gouvernement français. D’un côté, les résidents juifs ont acclamé l’arrivée des renforts policiers à Belleville le 3 juin aux cris de « Vive la France! »32 voulant ainsi apparaître comme de vrais Français, se distinguant des arabes qui sont des étrangers. De l’autre, les responsables tunisiens ont mis l’accent sur l’idée que les immigrés arabes étaient les « hôtes » de la France33, voulant par un comportement responsable, démontrer que l’on sait bien se tenir chez les autres. Dans les deux cas, c’était le signe d’un communautarisme naissant mais plutôt « soft » et qui ne cherchait pas à remettre en cause les règles françaises.

IV – Un complot capitaliste ?

29Par contre, pour la gauche et l’extrême gauche française, les émeutes de Belleville n’avait rien à voir avec le Moyen Orient. Il s’agissait plutôt d’un complot du gouvernement gaulliste pour diviser les travailleurs. Selon cette quatrième piste, suivie par L’Humanité et également par des tracts et affiches des mouvements gauchistes, il existait plusieurs signes révélateurs d’une conspiration du pouvoir.

30Les émeutiers juifs portaient des brassards, pour que la police puissent les identifier. On évoquait également la présence d’ex-harkis, armés de barres de fer, ayant reçu carte blanche des forces de l’ordre. Il a été souligné également que les émeutiers se dirigeaient directement vers les vitrines des commerces, comme si l’on cherchait à créer le maximum de désordre. Il a été fait allusion à des agents gaullistes, présents dans le quartier, qui auraient menacé des facteurs en grève avec un revolver. Il a également été noté l’importance et la brutalité de la réponse policière a cette émeute34.

31Certaines de ces observations étaient plus fondées que d’autres. Comme L’Humanité l’a noté, le fait qu’il n’y avait pas eu de violence à Belleville pendant la guerre de 67, suggère qu’il faudrait plutôt chercher une explication dans le contexte français de mai 68. Mais, pour établir l’existence d’un complot, il n’y a pas de preuve. Quant au comportement bizarre des émeutiers, il est assez habituel, dans les émeutes, de s’attaquer aux biens plutôt qu’aux personnes35.

32Pour ce qui est de la « répression », plusieurs témoignages confirment que la réponse policière a été forte, avec usage de grenades lacrymogènes et matraquages. La présence de 5000 CRS a été bien sûr excessive, pour une bagarre dans un café36, mais, il y a exagération : le premier jour, il n’y a eu qu’entre 10 et 20 arrestations, donc rien de vraiment comparable aux répressions de la guerre d’Algérie, comparaison faite par les maoïstes Alain Geismar, Serge July et Erlyne Morane37.

33Il faut noter qu’après mai 1968, les maoïstes de la Gauche Prolétarienne ont placé les luttes des travailleurs immigrés au premier plan dans leur stratégie révolutionnaire. Ils ont donc voulu interpréter les émeutes de Belleville comme le signal d’une révolte massive des immigrés contre l’Etat français, ce qui n’a pas été tout à fait le cas. L’année suivante, les étudiants maoïstes ont choisi d’investir Belleville pour leur defilé du 1er mai, sans consultation des bellevillois, un mauvais choix, qui a conduit à un véritable fiasco et un à harcèlement accrue des maghrébins de Belleville par la police. Une autocritique maoïste, a attribué la responsabilité de ce fiasco au « mythe de la résistance prolétarienne à Belleville », né pendant les émeutes de juin 6838.

34Les immigrés n’étaient donc pas les seuls à chercher dans le complot l’explication à ces événements, les Français aussi. Mais le nouveau contexte, avec le succès de la manifestation gaulliste du 30 mai, l’ébauche d’un retour au travail après la grève générale, voyait pour la première fois, depuis plusieurs semaines, la gauche sur la défensive. On peut comprendre qu’elle redoutait une tentative de division des travailleurs, mais on peut se demander pourquoi utiliser une bagarre entre deux groupes d’immigrés, quand il aurait été plus efficace de provoquer une émeute entre Français et immigrés, ce qui n’a pas eu lieu.

Conclusion

35On a vu a quel point un simple fait divers, dans un quartier aussi cosmopolite que Belleville, peut servir de symbole pour des conflits qui dépassent largement ces limites géographiques. Aucune des quatre explications, suggérées pour expliquer l’émeute de juin 1968, ne suffit à elle seule. Mais, cela ne veut pas dire qu’elles soient sans valeur. Chacune montre les espoirs et les désespoirs de ceux qui les ont énoncées, dans un contexte de bouleversements local, national et international, où le cosmopolitisme a été mis en question.

36Aujourd’hui, les relations judéo-arabes sont à nouveau sur le devant de l’actualité. Depuis le début de la deuxième Intifada et le 11 septembre 2001, on s’inquiète que ce difficile contexte international ne suscite un nouveau communautarisme en France. Mais, force est de constater, néanmoins, que si des incidents graves sont survenus récemment en banlieue, ils ne se sont pas reproduits à Belleville.39

37De retour dans ce quartier en 2004, nous avons remarqué une absence quasi-totale de slogans concernant le conflit israélo-palestinien. Le communautarisme existe à Belleville sur le plan culturel, mais pas forcément sur le plan politique. Il existerait en effet une sorte de pacte implicite afin d’éviter de faire entrer dans l’espace local le conflit du Proche-Orient. On peut donc conclure, peut-être, sur une note optimiste : le modèle bellevillois de cosmopolitisme n’est pas mort.

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Notes

1 - G. Jacquemet, Belleville au XIXe siècle, Paris, EHESS, 1984.
2 - P. Simon, « La société partagée. Relations interethniques et interclasses dans un quartier en rénovation. Belleville, Paris XXe », Cahiers internationaux de sociologie, XCVIII, (janvier-juin 1995), pp. 180-183; P.Simon et C.Tapia, Le Belleville des juifs tunisiens, Paris, Autrement, 1998, p. 167.
3 - Ces impressions initiales ne tiennent pas compte, par exemple de la présence dans le quartier des « petits blancs » français – parisiens ou provinciaux – ainsi que les juifs ashkenazes et autres.
4 - Voir par exemple D. Riot et D. Ajbali, Ben Laden n’est pas dans l’ascenseur … L’immigration, miroir des peurs de la société, Strasbourg, Desmaret, 2002, p. 174.
5 - Ces recherches ont été réalisées dans le cadre d’une étude sur les immigrés et mai 68 (Immigrants and the New Left in France, 1968-1971, thèse de doctorat soutenu a l’Université de Sussex en 2001).
6 - P. Brass, Riots and Pogroms, Basingstoke, Macmillan, 1996, pp. 12-15.
7 - Le Figaro, 3 juin 1968; Le Figaro, 4 juin 1968; L’Aurore, 4 juin 1968; France-Soir, 4 juin 1968; Le Monde, 4 juin 1968; France-Soir, 5 juin 1968; Paris-Presse L’Intransigeant, 5 juin 1968; Jeune Afrique, 10-23 juin 1968; Jewish Chronicle, 14 June 1968; Jeune Afrique, 22-29 juillet 1968; Simon et Tapia, Le Belleville des juifs tunisiens, cité, pp. 168-171.
8 - L’Aurore, 4 juin 1968 ; France-Soir, 5 juin 1968 ; Le Monde, 5 juin 1968.
9 - Arab Report and Record, 1-15 juin 1968 ; El Moudjahid, 5 juin 1968.
10 - France-Soir, 4 juin 1968 ; Le Nouvel Observateur, 7 juin 1968 ; Spectator, 7 juin 1968; A.Geismar, S.July et E.Morane, Vers la guerre civile, Paris, Editions Premières, 1969, p. 340; M.Grimaud, En mai, fais ce qu’il te plait, Paris, Stock, 1977, p. 301.
11 - Le Figaro, 4 juin 1968.
12 - Jeune Afrique, 1-7 juillet 1968 ; C. Tapia, « North African Jews in Belleville », Jewish Journal of Sociology, 16,1 (juin 1974), p. 14, 18; P. Simon, « La société partagée », cité, p. 178; P. Simon et C. Tapia, Le Belleville des juif tunisiens, cité, pp. 100-101, 112-113, 149-150, 169.
13 - Tapia, « North African Jews in Belleville » , pp. 18-20.
14 - Jeune Afrique, 1-7 juillet 1968.
15 - Voir N. McMaster, Colonial Migrants and Racism: Algerians in France 1900-1962, Basingstoke, Macmillan, 1997.
16 - Jeune Afrique, 1-7 juillet 1968.
17 - C. Lepidis, « Belleville, mon village », dans C. Lepidis et E. Jacomin, Belleville, Paris, Henri Veyrier, 1980, pp. 57-64, 73.
18 - C. Lepidis, « Belleville mon village », cité, p. 82.
19 - El Moudhjahid, 6 juin 1968 ; Amicale des Algériens en Europe, « Halte! A la provocation », communiqué reproduit dans El Moudjahid, 8 juin 1968. Selon A. Schnapp et Pierre Vidal-Naquet, Journal de la commune étudiante: textes et documents, novembre 1967 – juin 1968, Paris, Seuil, 1969, p. 640. cette théorie a été partagé en France par « quelques associations d’étudiants étrangers connus pour leur verbalisme (étudiants d’Afrique noire, grecs, arabes, etc) ».
20 - M. Abitbol, « The integration of North African Jews in France », Yale French Studies, 85 (1994), pp. 259-260.
21 - C. Tapia, « North African Jews in Belleville » , op. cit., p. 143.
22 - Voir les photos en France-Soir, 5 juin 1968 et Paris-Presse L’Intransigeant, 5 juin 1968.
23 - B. Stora, La dernière generation d’octobre, Paris, Stock, 2003.
24 - Voir Yaïr Auron, Les juifs d’extrême gauche en mai 68 : Cohn-Bendit, Krivine, Geismar … une génération révolutionnaire marquée par la Shoah, Paris, Albin Michel, 1998.
25 - Jewish Chronicle, 14 juin 1968 ; témoignage d’un militant juif dans Simon et Tapia, Le Belleville des juifs tunisiens, cité , p. 173.
26 - L’Aurore, 4 juin 1968; France-Soir, 5 juin 1968; Paris-Presse L’Intransigeant, 6 juin 1968.
27 - Le Figaro, 5 juin 1968.
28 - A.Gowers et T.Walker, Behind the Myth : Yasser Arafat and the Palestinian Revolution, Londres, W.H.Allen, 1990, p. 67; H.Hamon et P.Rotman, Génération : 2. Les années de poudre, Paris, Seuil, 1988, pp. 89-94.
29 - Combat, 5 juin 1968; Bibliothèque Nationale, Les tracts de mai 1968, n°. 4577, Le Comité de gauche pour la paix négociée au Moyen-Orient, « 20 ans ça suffit!! ».
30 - Le Figaro, 5 juin 1968 ; Le Figaro, 6 juin 1968 ; Paris-Presse L’Intransigeant, 6 juin 1968.
31 - Combat, 6 juin 1968 ; D. Bensimon, Les juifs de France et leur relations avec Israël (1945-1988), Paris, L’Harmattan, 1989, pp. 166-168.
32 - L’Aurore, 4 juin 1968 ; cf. la déclaration d’un parmi eux que « Nous sommes en France parce que nous sommes Français », Le Figaro, 4 juin 1968.
33 - Le Monde, 5 juin 1968.
34 - L’Humanité, 3 juin 1968 ; L’Humanité, 4 juin 1968; « Travailleurs arabes et juifs démasquent les vrais responsables des troubles de Belleville », tract reproduit dans J-P. Simon, La révolution par elle-même : tracts révolutionnaires de la crise de mai à l’affaire tchécoslovaque, Paris, Albin Michel, 1969, pp. 155-156 ; Bibliothèque Nationale, Les tracts de mai, cité, tract n°. 5234, «Halte à la provocation policière » ; tract du MRAP, reproduit dans Droit et Liberté, juin 1968.
35 - S. Tambiah, Levelling Crowds: ethnonationalist conflicts and collective violence in South Asia, Berkeley, University of California Press, 1996, p. 215.
36 - France-Soir, 4 juin 1968 ; Le Monde, 5 juin 1968 ; Le Figaro, 4 juin 1968 ; L’Aurore, 4 juin 1968 ; Paris-Presse L’Intransigeant, 5 juin 1968; A. Geismar, S. July et E. Morane, Vers la guerre civile, Paris, Editions Premières, 1969, p. 339 ; « Belleville: une partie de cartes = 5000 flics », affiche reproduite dans V. Gasquet, Les 500 affiches de mai 68, Paris, Balland, 1978, p. 158.
37 - L’Aurore, 4 juin 1968 ; Le Figaro, 4 juin 1968 ; France-Soir, 4 juin 1968 ; A. Geismar, S. July et E. Morane, Vers la guerre civile, cité, p. 339.
38 - Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, Nanterre, F DELTA RES 612/12, ‘Texte de «Vive le communisme » – Mai 68 émergence des luttes / mai 69 trahison révissioniste impréparation – erreurs / Vive le ler mai 70 ; Y. Gastaut, L’immigration et l’opinion en France sous la Vème République, Paris, Seuil, 2000, p. 157; La Cause du Peuple, 17 mai 1969; Rouge, 8 mai 1969.
39 - F. Baroukh, « Belleville, la coexistence pacifique », dans Cohabitation, quartiers sous tension, http://www.uejf.org/tohubohu/dossier/cohabitation.html

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Pour citer cet article

Référence papier

Daniel Gordon, « Juifs et musulmans à Belleville (Paris 20e) entre tolérance et conflit », Cahiers de la Méditerranée, 67 | 2003, 287-298.

Référence électronique

Daniel Gordon, « Juifs et musulmans à Belleville (Paris 20e) entre tolérance et conflit », Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 67 | 2003, mis en ligne le 25 juillet 2005, consulté le 25 juillet 2016. URL : http://cdlm.revues.org/135

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Auteur

Daniel Gordon

Edge Hill College of Higher Education

 

http://www.laviedesidees.fr/Les-manifestations-des-chinois-de.html

Essais & débats Société

Les manifestations des Chinois de Belleville

 

Négociation et apprentissage de l’intégration


par Ya-Han Chuang , le 15 juillet 2013

 

Pourquoi les Chinois de Paris se sont-ils mobilisés dans la rue à deux reprises ces dernières années ? Cet essai propose une étude de la communauté chinoise et de son évolution récente.

On trouvera l’ensemble des notes de bas de page dans la version PDF de cet essai

 

Dans de nombreux pays d’immigration, les migrants chinois sont souvent considérés comme une « minorité silencieuse » – une minorité qui s’adapte bien, mais dont la participation politique est faible. Si cette image est également présente en France, elle évolue depuis la manifestation du 20 juin 2010. Ce jour-là, pour la première fois dans l’histoire de la communauté chinoise de France, environ 20 000 Chinois de tout âge marchent dans le boulevard de la Villette en scandant le slogan : « Non à la violence, sécurité pour tous ». Paradoxalement, la manifestation se termine par des échauffourées avec la police que l’on pourrait qualifier de « mini-émeute ». Presque exactement un an après, le 19 juin 2011, une nouvelle manifestation est organisée par les représentants de la communauté chinoise de Belleville, entre République et Nation, le chemin classique des manifestations parisiennes. Cette fois, le mot d’ordre est « sécurité, un droit », et la manifestation s’achève en toute tranquillité. Les deux manifestations partagent plusieurs caractéristiques communes : toutes les deux sont des mobilisations ponctuelles faisant suite à des bagarres à Belleville entre des ressortissants chinois et d’autres populations ; toutes les deux revendiquent une augmentation des effectifs policiers et exigent que soit facilitée la procédure de dépôt de plainte pour les immigrés sans papiers ; les participants sont majoritairement immigrés chinois ou Français d’origine chinoise. Néanmoins, les deux manifestations se présentent et se déroulent de manière différente : en 2010, presque tous les slogans et banderoles étaient en chinois, les manifestants exprimaient une certaine fureur, et la manifestation s’est terminée violemment. En 2011, les slogans ont épousé les valeurs républicaines, l’ambiance était paisible, voire imprégnée par la fierté d’être un Chinois de France.

Certes, ce n’est pas la première fois que des groupes migrants manifestent pour dénoncer une discrimination ethno-raciale . Cependant, dans ce cas précis, c’est l’insécurité urbaine qui est dénoncée, tout en étant cadrée comme un problème ethnique dont les victimes sont uniquement des immigrés Chinois. À travers cette protestation, et ses évolutions au cours d’un an, on peut émettre l’hypothèse qu’on assiste là à un processus d’apprentissage politique par un groupe minoritaire. À partir d’une enquête ethnographique , il s’agit donc non pas de revenir sur la réalité de l’insécurité urbaine, mais bien de penser l’action collective comme une façon pour les Chinois de s’accommoder et de s’intégrer au modèle politique français.

Adopter tel ou tel code militant témoigne de la façon dont les Chinois répondent aux injonctions à l’intégration, qui les conduisent à utiliser et mettre en scène les symboles même de la République française lors des manifestations. L’intégration des immigrés demeure pour les institutions françaises une question de premier plan, face à laquelle les immigrés sont obligés de se positionner, même si la problématique de l’intégration est disqualifiée dans le champ académique à cause de la tension entre son caractère normatif et sa validité empirique, ou bien apparaît comme « une convergence uniforme » ne rendant pas compte de l’influence des traditions du pays d’origine.

Il importe de souligner que les migrants chinois de Paris sont loin de composer une communauté homogène. De l’inégalité de statut – travailleurs/entrepreneurs, situation régulière/irrégulière – aux différences générationnelles, tout tend à la divergence de position et de conscience politique, et à différents rapports de forces avec des acteurs institutionnels. Ainsi, ces approches variées sur la société française ont des incidences sur la perception de l’insécurité urbaine et le cadrage de la manifestation. Pour illustrer cette dynamique, nous allons mettre en regard les causes, l’organisation et la présentation des deux manifestations ainsi que le changement de la dynamique associative. Si les deux manifestations sont des mobilisations communautaires, elles n’ont pas la même signification : la première manifestation révèle surtout le désir de protection venant des travailleurs et jeunes immigrés qui ont des difficultés d’insertion et d’intégration. Désir d’un repli communautaire et besoin de l’unité cohabitent alors dans le discours de la manifestation. Suite à la nouvelle dynamique établie en 2010, la manifestation de 2011 symbolise un besoin de reconnaissance qui passe par l’assimilation du code de discours républicain. À travers ce processus, la protestation contre l’insécurité urbaine sert à forger une communauté politiquement visible.

Lutter pour l’unité

De la question sociale à la question raciale[[ Nous empruntons ce titre au livre coordonné par Eric et Didier Fassin, De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, Paris, La Découverte, 2006.
Le 1er juin 2010, une bagarre entre un Chinois et un groupe de jeunes du quartier de Belleville enclenche un processus débouchant sur la première manifestation. Ce soir-là, suite au vol d’un sac lors d’un mariage, A-Wu, un jeune Chinois, tire avec un pistolet sur les agresseurs. Il est immédiatement arrêté par la police. L’arrestation de ce jeune homme provoque l’indignation de la communauté. Dans la discussion, les internautes n’hésitent pas à le décrire comme un héros de la communauté chinoise . Pendant la nuit, des milliers d’appels sont publiés en ligne pour demander de « sauver notre héros A-Wu ». Les commerçants de Belleville lancent également une pétition. Le 9 juin, dans « Nouvelle Europe », un journal financé par le gouvernement chinois, un reportage annonce le projet d’une manifestation pour le 20 juin pour « défendre [les] droits » des immigrés chinois . Les associations représentatives des commerçants chinois s’organisent donc en collectif pour préparer la manifestation. En parallèle, d’autres associations locales de Belleville se mobilisent de leur côté.

La décision de manifester est prise : comment l’organiser et quelles sont les revendications ? C’est à ce moment-là que deux approches se confrontent. D’un côté, Huiji – une association fondée en 2003 suite au mouvement de sans-papiers chinois, qui rend service aux travailleurs immigrés au statut précaire en leur donnant des cours de français et un service de conseil juridique – considère les agressions à Belleville comme un problème dû à la ségrégation urbaine et à l’échec du vivre ensemble . Elle suggère d’organiser la manifestation avec l’ensemble des associations à Belleville en se liant aux ONG françaises antiracistes.

D’autre part, les associations des commerçants chinois, représentées par l’ARCF et soutenues par l’ambassade de Chine en France , souhaitent une manifestation ne regroupant principalement que des ressortissants chinois. Peu familières avec la loi française et les pratiques de la société civile, elles confient à P.C. , avocat français et président d’une association à Belleville, le soin de déposer la demande de manifestation à la préfecture et de s’occuper de la procédure administrative. Opposé à la gauche et peu favorable aux immigrés sans papiers , il affirme en substance que l’insécurité est « un problème en France depuis trente ans à cause de l’inertie des politiciens », et insiste ainsi sur le fait que « la manifestation [doit] être apolitique ». Par « apolitique », il entend le rejet de la participation des associations franco-chinoises et des mairies de gauche :

« Je voulais une manif’ purement « citoyenne » (accentué). […] Il y a des associations comme le Mrap, SOS Racisme, ce sont les filières, des sous-marins du PS. Ça, on n’en voulait pas, c’est pour amuser les gens, c’est pour dormir… Ce sont de grands amis du Parti socialiste et de la Mairie de Paris, ils sont donc très mal à l’aise avec nous, car nous sommes apolitiques. »

Pour la même raison, il exclut Huiji dans l’organisation lors de la dernière réunion de préparation . P.C. parvient ainsi à exclure les associations de gauche de la manifestation. Ce faisant, il construit davantage une image des commerçants chinois comme les victimes d’agressions commises par des jeunes issus d’autres migrations, en particulier des pays du Maghreb ou d’Afrique noire, et forge ainsi une vision ethnique du problème. De plus, en raison de la sensibilité du sujet des « droits de l’homme » en Chine, les commerçants chinois évitent de formuler leurs revendications en y faisant référence, de peur que les reportages sur la manifestation dans les médias chinois n’évoquent la question des droits de l’hommes et de la liberté politique en Chine. En conséquence, la rhétorique sociale est totalement absente dans les tracts et les revendications de la manifestation de 20 juin 2010. L’insécurité est ainsi présentée comme une expérience subie par des ressortissants chinois.

De l’indignation à l’échauffourée
En posant l’insécurité comme une expérience partagée par l’ensemble de la communauté chinoise, la manifestation du 20 juin 2010 part dans une ambiance de « lutte de territoire » entre les Chinois et d’autres populations de Belleville. Avec des participants scandant le slogan « Fan baoli, yao anquan ; Zhongguoren, Yao Tuanjie ! (Non à la violence, Oui à la sécurité. Chinois, soyons unis !) », des provocations à la fin de la manifestation paraissent inévitables. Nous pouvons également observer les comportements provocateurs des jeunes qui ont le drapeau chinois à la main et le sourire fier. À 16h30, les manifestants reviennent au carrefour de Belleville. Un témoigne partage sa vision des faits avec plusieurs participants :

« À la fin du cortège, plusieurs jeunes restaient et ne voulaient pas partir. Ils montraient le portable dans leurs mains en disant ‘viens prendre ce portable ! À la fin, ils ont même pris à partie physiquement des jeunes adolescents d’origines arabes/noirs en les accusant de vol. En même temps, un autre habitant d’origine africaine voulant partir avec sa voiture, la foule commence à pousser sa voiture. À ce moment-là, la police commence à intervenir. Certains manifestants avaient apporté 3 000 œufs pour les balancer sur les policiers. La confrontation devient plus violente ».

Si les accrochages avec les personnes d’origine africaine ne sont pas surprenants, le dérapage envers les forces de l’ordre paraît incompréhensible pour certains . En fait, pour les jeunes adultes et adolescentes dans des situations précaires, l’identité chinoise est vécue comme une marque d’humiliation et la cible de répressions . Ainsi, cette manifestation devient l’occasion de transformer ce sentiment en exaltation de l’affirmation de leur origine. Comme le décrit un adolescent arrivant en France à l’âge de onze ans : « C’est comme si une personne très pauvre avait soudainement gagné au Lotto ! ». Un autre jeune adulte exprime son désir de se projeter dans une collectivité plus large : « En voyant toutes ces personnes présentes à Belleville, j’étais très fier. Je me suis dit : enfin on peut se battre pour que les Chinois soient reconnus ! » Tous ces propos nous montrent que les expériences quotidiennes et les émotions face aux policiers sont des « matériaux bruts » d’actions violentes, qui motivent les jeunes adultes à se battre au nom d’un groupe. Les échauffourées à la fin de la manifestation ne sont donc pas un dérapage hasardeux. Au contraire, ils sont, comme les émeutes urbaines de 2005, la marque d’un besoin de se défouler et du sentiment vécu d’injustice, dans un contexte plus large que la cause de la manifestation : une frustration accumulée dans le vécu quotidien des jeunes.

La recomposition du paysage associatif

La manifestation de 2010 a eu des conséquences sur le milieu associatif chinois de Belleville. Traditionnellement, il existe de nombreuses associations de commerçants, dont l’objectif est essentiellement de structurer les réseaux professionnels. Même si un très faible nombre de commerçants y adhèrent ou sont directement impliqués, elles sont considérées comme des interlocuteurs légitimes pour des institutions telles que l’ambassade de Chine, laquelle cherche à exercer une influence politique à travers ces associations. Les travailleurs récemment immigrés et précaires ne peuvent, quant à eux, accéder aux institutions qu’à travers des associations franco-chinoises telles que Huiji. Après la manifestation de 2010, le paysage associatif se reconfigure : dans un premier temps, déçue par le résultat de la manifestation, l’association Huiji décide de cesser son activité. Ensuite, les entrepreneurs de Belleville et les immigrés de fraîche date se mobilisent chacun de leur côté pour créer des associations afin d’établir les liens avec les institutions françaises.

Alerté par l’influence de l’ambassade de Chine sur ses diasporas, les mairies de gauche autour de Belleville incitent les commerçants du quartier à s’associer. Un salarié de la mairie du 20e arrondissement raconte son expérience avec des commerçants chinois avant la manifestation :

« Il y a une préoccupation de la Chine pour savoir ce qui se passe dans les associations chinoises, qui n’est pas forcément une préoccupation de la vie du quartier. Ce qu’on veut, c’est que les Chinois deviennent, je ne dis pas Français, mais Parisiens. Certains se sentent déjà autant Bellevillois que Chinois. Et, apparemment, ce que l’ambassade chinoise veut, c’est qu’ils soient plus Chinois que Bellevillois ».

Le dérapage de la manifestation de 2010 a rendu cette tension tangible. Il devient ainsi urgent pour les mairies de trouver des interlocuteurs légitimes . En novembre 2010, une centaine de commerçants fondent « l’association des commerçants bellevillois », avec une majorité de membres d’origine chinoise. Selon M. Ch ., son président, l’objectif de l’association est « sécurité, sécurité, et encore sécurité ». L’année suivante, les mairies du 19e et 20e arrondissements travaillent en collaboration avec l’association des commerçants pour l’organisation des festivités du Nouvel An chinois, une étape qui marque la volonté d’incorporer les commerçants dans la collectivité locale et de réinstaurer une image cosmopolite du quartier de Belleville.

D’autre part, une autre association nommée Association Chinoise pour le Progrès des Citoyens (l’ACPC ci-dessous) a également rouvert ses portes à Belleville, après plusieurs années d’inactivité, pour aider les travailleurs chinois précaires qui parlent peu le français. La première tâche de l’ACPC est d’aider les immigrés à porter plainte . D’autres services sont ensuite proposés, tels que la traduction, le soutien scolaire ou encore une assistance juridique via une permanence. Cependant, l’ACPC gagne sa visibilité surtout par sa revendication identitaire. Son président, Y , tient un discours nationaliste pour articuler la vulnérabilité des migrants chinois et le trauma historique de la Chine.

« Pourquoi est-on brimé partout ? Je t’explique : en 1937, 300 000 Chinois ont été tués par les Japonais. On les a oubliés. En 1990, 6 000 Chinois ont été tués en Indonésie avec plein de femmes violées. On les a oubliés encore facilement. On est méprisés et brimés partout ! En Chine, on est brimés par les compatriotes, ce n’est pas encore très grave ; mais si ici on est brimés par les groupes d’autres ethnies, c’est une insulte à une nation entière. Il faut mettre la pression sur le gouvernement et l’ambassade chinoise pour s’occuper de notre sécurité ».

En faisant le parallèle entre les attaques dont les chinois ont pu être victimes au cours de l’histoire et les agressions quotidiennes subies par des migrants, Y. opère un glissement du sentiment d’insécurité vers une thématique d’identification nationaliste. Ainsi, à chaque controverse diplomatique impliquant la Chine, l’ACPC se mobilise pour protester . Il s’agit d’une organisation de jeunes adultes et adolescents qui ont des difficultés d’intégration et qui cherchent à souder la communauté en embrassant le nationalisme chinois. Or son image nationaliste fait peur à la plupart des associations de commerçants.

L’influence directe de la manifestation de 2010 est l’émergence de ces deux acteurs indépendants de l’ambassade de Chine. Malgré les statuts sociaux variés des fondateurs et leurs différences idéologiques, tous deux cherchent à établir un lien avec l’institution française pour faciliter l’intégration des migrants chinois. Ceci permet, peu avant l’anniversaire de la manifestation du 20 juin 2010, un point de départ différent pour la reprise de la manifestation contre l’insécurité.

Lutter pour la reconnaissance

L’histoire se répète … mais ne va pas dans même sens

Le 31 mai 2011, une nouvelle agression a lieu à Belleville lors d’un mariage. En combattant avec les agresseurs, le fils d’un restaurateur, est roué de coups et tombe dans le coma. La nouvelle circule immédiatement sur le forum Huarenjie. Ensuite, tout comme en 2010, les internautes se mobilisent et appellent à une autre manifestation contre l’insécurité à Belleville. M. Ch., président de l’association de commerçants Bellevillois, se sent obligé de réagir après l’agression du 31 mai 2011. C’est à ce moment-là que l’ACPC propose de refaire une manifestation le dimanche 19 juin 2011 à l’occasion de l’anniversaire de la manifestation de 2010 .

Alertés de la position nationaliste de l’ACPC, d’autres associations de commerçants proches de l’ambassade ne souhaitent pas participer de crainte que se répète l’épisode de 2010. C’est alors que les jeunes générations représentées par l’Association de Jeunes Chinois de France (l’AJCF ), une association composée par la deuxième génération d’immigrés chinois et travaillant sur l’image positive des Chinois de France, sont sollicités pour aider la préparation de la manifestation. « On a appris qu’il y a des choses qui sont très mal passées l’année dernière. » raconte W, un des membres de l’AJCF qui devient le porte-parole de la manifestation de 2011. « C’était trop communautaire. Il faudrait changer l’image… de toute façon la manif’ a été lancée, on peut plus reculer donc, même si on n’est pas d’accord avec la manif… » Un collectif d’organisation se forme ainsi au nom du « collectif des associations asiatiques de France et leurs amis français ». Plusieurs lignes cohabitent dans sa composition : d’une part, l’ACPC, l’Association des commerçants bellevillois avec plusieurs associations de commerçants indépendantes de l’ambassade qui s’occupent des matériaux et financements ; d’autre part, l’AJCF s’occupe de la communication avec les médias français. Sa composition se distingue ainsi fortement de la première manifestation, grâce à la participation des associations bellevilloises et des jeunes générations francisées.

Devenir citoyens : des symboles flottants dans la manifestation
Co-organisée par les jeunes générations qui ont pour but de modifier l’image communautaire de la première manifestation, le scénario de manifestation du 19 juin 2011 ressemble beaucoup plus à une manifestation « française ». Malgré la présence d’individus qui en ont profité pour distribuer des tracts d’extrême droite , un effort considérable est fait pour incorporer les valeurs républicaines. Dès que les cortèges partent, les organisateurs font répéter les slogans : « Liberté, oui ! Égalité, oui ! Fraternité, oui ! Et … sécurité ! » Par leur rhétorique, les manifestants récupèrent les valeurs républicaines françaises afin d’identifier la sécurité à un droit fondamental des citoyens. De plus, tandis que les slogans et drapeaux chinois ont totalement disparu, le drapeau français est omniprésent : les manifestants le tiennent à la main, le portent sur l’épaule, et de nombreuses banderoles sont marquées des couleurs bleu, blanc, rouge. M.Ch. s’en explique :

« Nous vivons sur le territoire français. Nous aimons ce pays, et nous voulons vivre ici. Nous demandons un traitement égal à celui de tous les Français. Pour nous, les diasporas chinoises, où vivons-nous ? Où vivront nos descendants dans l’avenir ? Nous devons nous battre pour nos droits, et ça n’a rien à voir avec la position de l’ambassade. »

Cependant, pour W, c’est plutôt une mauvaise surprise. Il explique que lors de la réunion de préparation, il a été décidé qu’aucun drapeau – ni chinois ni français – ne devait être distribué, mais l’ACPC avait déjà commandé 10.000 drapeaux français et insistait pour les distribuer. Ainsi, il doit improviser face aux questions des journalistes :

« Ils ont sorti des drapeaux, et alors on a dû faire avec. Et voilà, ce jour-là, la manifestation était très bien, et il y avait des questions, « pourquoi vous avez sorti des drapeaux français ? » (Rire) donc j’ai répondu, ‘C’est pour signifier qu’on est Français. On est Français et donc on voulait s’accaparer le symbole français.’ »

En articulant « citoyenneté » et « symbole français », ces propos révèlent le désir d’être incorporés dans la république française, ainsi que la capacité d’adopter les codes politiques français – surtout de la part des « demi-zens » comme M.Ch. et Y., qui n’ont pas encore été naturalisés.

Ce message semble avoir été bien reçu par les acteurs des institutions françaises. Comme l’a commenté une salariée de la préfecture de police de Paris, tandis que la première manifestation n’avait fait qu’attirer l’attention des journalistes, la deuxième manifestation a réussi à faire passer un message et montre la capacité d’intégration des commerçants . Ainsi, M.Ch. n’hésite pas à considérer la réussite de manifestation comme une victoire vis-à-vis d’autres associations de commerçants proches de l’ambassade et qui ont peu de contact avec l’institution française. Il souligne la reconnaissance acquise de la manifestation :

« À mon avis, notre manifestation a été une grande réussite. Pourquoi ? Cela a fait venir le préfet de Paris et le ministère de l’Intérieur à Belleville pour discuter avec les ressortissants de chinois. C’est la première fois. […] Les associations doivent rendre service aux immigrés chinois ; nous ne pouvons pas cesser de nous intégrer à la société française. Il faudrait continuer à trouver des jeunes cultivés, qui parlent bien français, pour entrer au centre de la société française. Si notre génération ne le fait pas, cela va être encore retardé d’une génération. »

Ces propos révèlent un changement d’aspirations des migrants chinois : au-delà de leur demande de protection et de sécurité, naît un désir de reconnaissance. Peu importe la variété de leur statut– résidents légaux, immigrés sans papiers, français d’origine chinoise etc. – ils ont une attente commune être reconnus comme des citoyens légitimes de la France. Autrement dit, la problématique de l’insécurité devient une occasion pour des immigrés chinois d’exprimer leur espoir d’être intégrés dans la communauté politique.

Conclusion

La comparaison entre les deux manifestations de 2010 et 2011 illustre un processus d’intégration d’un groupe migrant par l’apprentissage politique. Même si les deux manifestations portent des revendications similaires, un ensemble de facteurs permet une meilleure organisation de la deuxième manifestation. Tout d’abord, le rapport avec les institutions françaises a considérablement évolué. Avant 2010, la plupart des immigrés avaient une attitude distanciée avec ces institutions et privilégiaient surtout leurs liens avec la représentation de la diaspora chinoise. La manifestation de 2010 met en lumière cette distance, donnant lieu à une reconnaissance par la préfecture et les mairies des agressions dont les Chinois sont victimes ; cela incite les mairies de gauche à chercher des interlocuteurs directs. Après la manifestation de 2011, les préfectures et les commissaires de police sont ainsi d’autant plus à leur écoute.

Ce rapprochement est accompagné par un apprentissage d’auto-mobilisation. Venant d’une société autoritaire, où la tradition d’auto-organisation est faible, les immigrés chinois ayant peu de savoir-faire pour l’organisation d’une manifestation et plus largement pour la vie associative. L’émergence de deux associations après 2010 montre une première étape d’apprentissage qui fait pénétrer les immigrés plus avant dans la société civile française ; de plus, la deuxième génération d’immigrés Chinois marque une deuxième étape dans la manière d’encadrer la manifestation. Sans écraser la légitimité des autres associations de commerçants, ces nouveaux acteurs facilitent des contacts directs avec les institutions françaises. Ils contribuent ainsi à étoffer, au fil du temps, le répertoire d’actions militantes de la population d’origine Chinoise.

Enfin, il en résulte une évolution des sentiments d’appartenance des immigrés chinois. En 2010, formulant l’insécurité comme un risque exclusif pour les immigrés chinois, la manifestation permet de créer une « communauté d’expériences » autour d’un imaginaire et de sentiments d’insécurité, et, sur cette base, appelle à constituer un sujet politique mobilisable. En 2011, la communauté étant politiquement visible, l’objectif de l’action collective s’est transformé : il s’agit de modifier l’image des Chinois, et de montrer leur capacité d’intégration à travers l’adoption des codes politiques français. Nous constatons ainsi un passage de la lutte pour l’unité à l’intérieur à la lutte pour une reconnaissanceà l’extérieur.

Toutes ces évolutions montrent à quel point l’intégration politique est une négociation permanente entre le « là-bas » et l’« ici » des immigrés, entre les valeurs de la société d’origine et la perception de la société d’accueil. C’est grâce à ces apprentissages politiques à travers les institutions que les « Chinois à Paris » pourraient se transformer en « Chinois deParis ».

Pour citer cet article :

Ya-Han Chuang, « Les manifestations des Chinois de Belleville. Négociation et apprentissage de l’intégration », La Vie des idées , 15 juillet 2013. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Les-manifestations-des-chinois-de.html

Nota bene :

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par Ya-Han Chuang , le 15 juillet 2013

 

http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/06/22/a-belleville-la-communaute-chinoise-exprime-son-mecontentement_1539077_3224.html

A Belleville, les Chinois critiquent l’inaction de la police

 

Le Monde.fr | 22.06.2011 à 18h39 • Mis à jour le 23.06.2011 à 08h59 | Par Thomas Baïetto

La rue de Belleville, dans le 20e arrondissement de Paris.

 

« Qui est allé à la manifestation dimanche ? » Donatien Schramm inscrit les mots au feutre vert sur le petit tableau blanc de sa salle de classe à mesure qu’il les prononce. Il se tourne vers la quarantaine d’élèves, serrés dans le petit local de l’association Chinois de France-Français de Chine, et reprend la phrase en mandarin. Quelques mains, hésitantes, se lèvent parmi les rangs. Le professeur insiste, interpelle tel ou tel en lui rappelant qu’ils se sont croisés sur place. Chaque jour, le quinquagénaire enseigne les rudiments de la langue française à ces élèves qui n’ont plus l’âge d’aller à l’école. Ils sont d’origine chinoise et appartiennent pour la plupart à la communauté Wenzhou, du nom de cette ville située au sud de Shanghaï.

 

Mardi 21 juin, la présence d’un journaliste dans l’assistance a perturbé le programme du dernier quart d’heure de cours. Il y sera question de la manifestation du 19 juin, où plusieurs milliers de personnes d’origine asiatique sont descendus dans les rues de Paris pour protester contre l’insécurité qu’ils ressentent, en particulier à Belleville. D’après M. Schramm, plus de la moitié des élèves y ont participé.

« Pourquoi es-tu allé(e) à la manifestation ? » Une deuxième question est inscrite au tableau et la discussion s’emballe. « Pour la sécurité, pour que tout le monde ait la sécurité », lance Mme Li en chinois. « Je suis vieille, et quand je fais mes courses, je me fais souvent agresser », poursuit-elle. Au fond de la salle, une deuxième élève, particulièrement vindicative, prend le relais : « Ce sont les arabes et les noirs. » M. Schramm la reprend, indiquant que ces jeunes agresseurs sont avant tout Français. De l’autre côté de la pièce, Bernard Dinh, l’autre cadre de l’association, tempère ces accusations. « Il y a des préjugés de part et d’autre », explique-t-il.

« IL Y A PLUS DE SÉCURITÉ EN CHINE »

La discussion se poursuit sur les autorités publiques, accusées de délaisser cette question, et pas seulement à Belleville. Ces problèmes d’insécurité, « c’est un sujet qui leur tient à cœur » résume le professeur. Le cours se termine et une bonne partie des élèves, en majorité des femmes âgées, se dispersent dans la rue Rébeval. Il ne reste qu’une dizaine d’entre elles. Elles veulent manifestement poursuivre la conversation. « Nous ne parlons pas bien français et ils le savent », indique Mme Li. Elle montre les petites cicatrices de son poignet, et raconte avoir été agressée à deux reprises au cours des trois derniers mois. « Nous avons peur quand nous marchons dans la rue », renchérit sa voisine. L’inaction de la police française est vivement critiquée. « Il y a plus de sécurité en Chine » martèle Mme Li. Une habitante d’Aubervilliers, plus jeune, ajoute qu’elle ne transporte plus de papiers importants ni d’argent liquide dans son sac à main.

Assise à côté de Mme Li, Zheng Shaoyan, une petite femme aux cheveux auburn, montre sa cuisse, et explique qu’un voleur lui a cassé la jambe il y a un an. Elle reviendra dans l’après-midi avec toutes sortes de papiers dans un sac en plastique, dont le compte rendu d’infraction initial. Le 23 février 2010, cette couturière rentrait chez elle rue de Belleville, lorsque dans le hall de son immeuble, un homme tente de lui arracher son sac. « X tente d’arracher le sac de la victime, qui résiste, il en résulte une chute avec fracture« , indique le document. La suite signale une fracture de la hanche gauche et précise que la victime ne parle pas français. C’est sa fille qui sert d’interprète, et, en bas du document, Mme Zheng signe en chinois.

Madame Zheng a été agressée en 2010.

« Le vol  à l’arraché a toujours existé, mais aujourd’hui, il y a un sentiment de ras-le-bol. » Au bar Le Celtic, Patrick Huang, le gérant, exprime sa colère, dans un français parfait. Cet homme de 41 ans, originaire de Wenzhou, a grandi en France et vit à Belleville depuis quinze ans. C’est le vice-président de l’association des commerçants bellevillois, créée après la manifestation de juin 2010, qui portait déjà sur les questions d’insécurité. S’il mentionne l’agression d’une personne de type caucasien lundi soir sur le trottoir d’en face, il explique que « les victimes sont essentiellement asiatiques ». Des cibles de choix, qui privilégient l’argent liquide aux autres moyens de paiement. Pour Donatien Schramm, cela s’explique d’abord parce que les sans-papiers sont une composante importante des Chinois de Belleville. Ils ne peuvent donc pas ouvrir de compte bancaire. Patrick Huang remarque également que « pour faire un chèque, il faut savoir écrire en français ».

Cela relève aussi d’une question de culture : lors d’un mariage, « si quelqu’un met un chèque dans [l']enveloppe [qu'on remet traditionnellement aux mariés], c’est la honte » s’exclame-t-il. Mais beaucoup « sont imprudents », regrette M. Schramm. Pour illustrer son propos, il mentionne l’agression, lundi soir, d’une restauratrice, à la fermeture de son restaurant : « Il faut un peu de jugeotte : tu ne te balades pas avec la recette du jour dans un sac », s’agace-t-il. « Je suis d’accord, mais ce n’est plus une vie », rétorque M. Huang, qui ajoute qu’« il ne faut pas changer nos habitudes à cause de quelques voyous ».

« ON LAISSE POURRIR LES ÉTRANGERS DANS LEUR COIN »

Lui aussi critique vivement le travail de la police, insuffisamment présente sur le terrain, ou trop lente à intervenir. Lors d’une récente agression dans un parking, la police aurait mis 45 minutes avant d’arriver sur les lieux. « On laisse pourrir les étrangers dans leur coin, dans les arrondissements du 18e, 19e et 20e« , résume-t-il. Et quand bien même l’agresseur « est pris en flagrant délit, il n’aura que quinze jours de prison. Mais il peut se faire 1 000 euros [s'il réussit son coup]. A ce prix-là, même moi, je le fais », s’emporte-t-il. Ainsi, le sentiment d’injustice gagne du terrain. « Là, ça commence à bouillir, nous allons prendre notre sécurité en charge nous-mêmes », menace Patrick Huang.

Le problème posé par ces agressions est également qu’il avive les tensions entre communautés, alors même que, selon Donatien Schramm, les auteurs de ces actes sont « des jeunes Français, des gamins du quartier, de toutes origines », et parfois-même asiatique. Il regrette d’ailleurs que les organisateurs de la manifestation n’aient pas réellement cherché à associer l’ensemble des communautés du quartier, averties sur le tard.

Le local de l'association Chinois de France-Français de Chine, rue Rébeval.

Pourtant, depuis l’année dernière, des efforts ont été faits pour redresser la situation. La création de l’association des commerçants bellevillois, à l’initiative de la mairie du 20e, l’un des arrondissements sur lequel se trouve le quartier de Belleville, a permis d’améliorer la situation sur quelques points, comme le dépôt de plainte. M. Huang explique que l’association aide les victimes à porter plainte et leur explique que « même si elles n’ont pas de papiers, elles ne risquent rien ».

« CELA NE SERT À RIEN DE PORTER PLAINTE »

Par ailleurs, une brigade de sécurité territoriale (BST) a été spécifiquement mise en place. Sans réussir à inverser la situation : « La BST, je ne l’ai vue qu’une seule fois, et pas sur le terrain », témoigne Hu Jianguo, le frère de l’homme dont l’agression a suscité la manifestation du 19 juin.

Ce 21 juin, il se trouve au Nouveau Palais de Belleville, un gigantesque restaurant, rue de Belleville, où travaillait son frère. Accompagné d’Olivier Wang, le porte-parole du collectif qui a organisé la manifestation de dimanche, il discute avec trois collaborateurs de la mairie du 20e. Ceux-ci insistent sur le manque d’effectifs de police, l’opportunité de mieux équiper les commerces en terminaux pour carte bancaire, et la nécessité de porter plainte systématiquement, sans sembler convaincre leur interlocuteur. « Nous pensons que cela ne sert à rien de porter plainte », leur lance-t-il. 

Arrive alors une équipe de France Télévisions, venue interroger le frère de la victime. Celui-ci hésite à parler, mais Olivier Wang tente de le convaincre. « Les gens en Bretagne ou à Marseille, ils ne savent pas ce qui se passe ici », lui explique-t-il, en français. Il pointe du doigt l’équipe de la mairie, « eux, ce sont les pouvoirs publics ». Puis les journalistes, « eux, c’est l’opinion publique ». « Toi, tu as un poids important », ajoute-t-il. Résigné, M. Hu accepte finalement de répondre.

Thomas Baïetto

 

http://www.leparisien.fr/paris-75/paris-75020/video-belleville-la-chinoise-se-sent-enfin-en-securite-17-01-2012-1815246.php

VIDEO. Belleville la Chinoise se sent enfin en sécurité

 

>Île-de-France & Oise > Paris > Paris XX|17 janvier 2012, 4h21 | MAJ : 25 juillet 2016, 20h55|9
Paris XX

Après une série d’agressions ultraviolentes, la communauté asiatique de Belleville retrouve un peu de sérénité. Une brigade de police veille sur le quartier.

 

C’était un dimanche après-midi du printemps 2011. Evénement sans précédent,des milliers de membres de la communauté asiatique de Belleville (XXe) descendaient dans la rue pour crier leur colère. Au cœur de ce mouvement de révolte exceptionnel : l’insécurité croissante, les agressions à répétition, dont ont été victimes durant de longs mois les Asiatiques. Avec, en point d’orgue, le passage à tabac de Jiang Hu, un trentenaire employé au restaurant le Nouveau Palais de Belleville, qui a déclenché la colère de toute une communauté et la réaction immédiate du ministre de l’Intérieur. Depuis, la préfecture de police a mis à disposition de Belleville d’importants moyens : 525 policiers supplémentaires ont été affectés à ce seul territoire.

308 arrestations

Depuis le mois de juillet dernier, la nouvelle brigade spéciale de terrain (BST), créée pour lutter contre toutes les formes de délinquance, a procédé à 308 arrestations, visité des dizaines de commerces, assuré une présence visible et constante, qui semble appréciée de la communauté asiatique : « On se sent vraiment plus en sécurité, souligne Yan, un habitant de la rue de Rampal. Je ne cache plus mon portable dans la rue, alors que j’avais pris ce réflexe. »

Au carrefour des Xe, XIe, XIXe et XXe arrondissements, Belleville est entouré de cités sensibles : « Les délinquants ont commencé à s’en prendre à la communauté asiatique au moment où le cours de l’or a entamé sa hausse exponentielle, souligne le commissaire principal du XXe arrondissement, Bernard Bobrowska. C’est ainsi que sont apparus les premiers vols de chaînes en or, arrachées au cou des passants. » Mais aussi pléthore d’agressions violentes, pour de l’argent liquide, que les Asiatiques ont souvent sur eux. « A cela, poursuit Bernard Bobrowska, s’est ajoutée une nouvelle forme de délinquance, perpétrée, elle, par certains réfugiés tunisiens qui arrivaient de Lampedusa au moment de la révolution de Jasmin. Il a fallu aller à la rencontre de la communauté, de ses représentants associatifs. Les mettre en confiance, les faire sortir de leur silence et de leur discrétion, pour qu’ils acceptent, en tant que victimes, de venir témoigner au commissariat, malgré, parfois, la barrière de la langue et même la peur, lorsqu’ils sont en situation irrégulière. »

VIDEO. La communauté chinoise manifeste contre l’insécurité

 

Le Parisien



Des Chinois de Belleville, à Paris

Pour la plupart, comme déjà vu, parmi les Chinois installés dans la capitale, ce sont les derniers arrivés, en provenance directe de Chine, plus particulièrement de la région de Wenzhou, une ville côtière qui se trouve au sud de Shanghai, à une distance de 367,54 km à vol d’oiseau et 463,15 km par la route.

Il suffit de poursuivre cette route longeant la côte en direction du Sud pour arriver à Fuzhou, à 318,46 km de distance, ou 254,70 km à vol d’oiseau.

Fuzhou se trouve en fait à mi-distance entre Shanghai et Hong Kong : 611 km de la première à vol d’oiseau (780 km par la route) et 670 km de la seconde à vol d’oiseau.

A titre de comparaison : les distances de Brest à Paris sont de 505,05 km à vol d’oiseau et 589,62 km par la route, et celles de Marseille à Paris de 660,68 km à vol d’oiseau et 774,30 km par la route.

Mais à l’échelle de la Chine, c’est peu :

 

chine

 

Petites visites du quartier d’élection de ces Chinois à Paris, d’abord en 2015, puis en 2012, toujours avec le même guide, Donatien Schramm – il n’est actuellement plus question de leurs manifestations à base de revendications sécuritaires de 2010 et 2011 :

 

http://boui-boui.com/visite-belleville-la-chinoise/

« Belleville la Chinoise »

 

20 novembre 2015

  • Des Chinois de Belleville, à Paris dans Corruption IMG_8632-940x627
    Fruits et légumes exotiques d’une superette asiatique.

 

Balade instructive sur Belleville et ses communautés chinoises.

Qui sont les Chinois de Belleville ?
D’où viennent-ils, comment se sont-ils installés,
quelle est leur histoire ?

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la communauté sans jamais oser le demander, suivez-moi dans “Belleville la Chinoise” !

J’habite dans ce quartier, je le vis quotidiennement, j’y fais mes courses et me régale dans les nombreuses cantines qui s’y cachent. Je lui connais beaucoup d’histoires et d’attraits, et c’est pourquoi je souhaite, pour notre première balade ensemble, vous emmener dans le bas-Belleville.

Ancien faubourg populaire et ouvrier, son histoire est intrinsèquement liée à l’immigration. De nombreux migrants y sont arrivés tour à tour : Polonais, Arméniens, Juifs, Tunisiens, … et depuis la fin des années 70, les Chinois y résident et y prospèrent. Mais qui sont-ils et d’où viennent-ils précisément ?

“Vous avez votre passeport en poche?
Embarquement immédiat pour un bout de Chine à Paris.”

Pour cette visite spéciale “la Chine à Belleville”, j’ai fait appel à Donatien Schramm : un fin connaisseur de la culture chinoise, un incontournable du quartier et grand « tisseur de liens ».

Il ne se passe pas une seconde sans que Donatien ne dise « Bonjour » – ou le plus souvent « Nǐ hǎo » -, à l’un de ses amis du voisinage. Je me rends vite compte qu’il adore serrer des mains, envoyer des sourires et avoir un mot pour chacun. Il plaisante en me disant “Tu vois, je suis un peu le maire de Belleville !”.

Amoureux de la Chine et de sa culture,  habitant Belleville depuis plus de 25 ans, Donatien est très intégré dans la communauté chinoise. Il a monté l’association Chinois de France, Français de Chine, qui « aide les Chinois à apprendre le français, et propose aux Français de découvrir la culture chinoise et ses particularités ». Marié à une Française d’origine chinoise, il se sent plus Chinois qu’elle et se félicite d’être appelé parfois « le dragon blanc ».

Extrait de mon carnet de voyage à Paris.

Extrait de mon carnet de voyage à Paris

Rendez-vous près du kiosque à journaux où Donatien, plaisantin, tente de me faire lire les titres des quotidiens chinois. Évidemment, je ne suis pas comme lui – à pouvoir décoder tous les sinogrammes -, en riant, nous débutons notre voyage.

Donatien me donne un mini-cours d’histoire de l’immigration chinoise en France, avec sous les yeux une carte de Chine. La présence chinoise à Paris date de plus d’un siècle et notre capitale a vu arriver plusieurs vagues d’immigration.

L’immigration chinoise à Paris : les différentes arrivées.

La première vague date de la Grande Guerre ; manquant de main-d’oeuvre, la France est allée en Chine chercher ouvriers et travailleurs agricoles pour remplacer ceux partis sur le front. Après le dur labeur puis l’aide à la reconstruction de notre pays, plusieurs milliers de Chinois sont restés en France, et se sont installés près de la Gare de Lyon -à  L’Ilot-Chalon, rasé dans les années 70 -, puis dans le Marais.

Ces Chinois étaient majoritairement une communauté dite de colporteurs, originaires de la province de Zhejiang appelés Wenzhou. Très vite ils ont commencés à travailler pour (puis avec) la communauté juive – majoritairement des grossistes dans le quartier des Arts et métiers – d’où leur installation historique dans le Marais.

La deuxième vague, c’est l’arrivée des Teochew – grande diaspora de chinois vivant depuis longtemps au Vietnam, au Cambodge et au Laos. Les premiers Indochinois arrivèrent en France après 54-55, puis les seconds lors de la guerre du Vietnam. “ Cette communauté est lettrée, d’un certain niveau social et culturel, bien intégrée à la communauté française de l’ex-Indochine. Ici, en France, malheureusement, leurs diplômes et compétences ne sont souvent pas reconnus. Très communautaires et isolés de fait, ils ont décidé de reproduire un bout de leur Asie dans le 13ème arrondissement, afin de “vendre de l’exotisme” mais surtout pour perpétuer leur traditions et mode de vie.  Ils se rassemblèrent donc pour ouvrir des commerces : des chinoiseries, des marchés exotiques, des restaurants, des herboristeries… ”

Ensuite, arrivent les tristement célèbres « boat-people », ces Chinois et Indochinois qui fuient par bateaux les régimes communistes. Arrivés à Paris, ils s’installent en grande partie dans le XIIIème arrondissement, dans les grandes tours vides du “triangle d’or”, entre l’avenue de Choisy, le boulevard Masséna et l’avenue d’Ivry.

La troisième vague d’immigration est plus récente, son origine géographique différente et son rang social également. “ Les nouveaux migrants chinois viennent du Nord de la Chine, on les appelle les “Dongbei” (Nord-Est en Mandarin) et viennent ici pour “tenter leur chance”. Contrairement aux précédentes arrivées, ce sont des gens assez isolés et pour beaucoup des femmes seules. Les Dongbei sont éparpillés dans tous les quartiers chinois de Paris et ont plus de mal à s’intégrer. Ne bénéficiant pas de l’entraide qui existe fortement dans les autres communautés, ils acceptent des petits boulots, sont souvent précaires et généralement assez mal-vus des Chinois eux-mêmes. ”

Rue de Belleville et enseignes Wenzhou

Qui sont “les Chinois” de Belleville ?

Donatien m’interroge :
“C’est quoi pour toi les Français ?”
“Euh…ça dépend.”
“Bah voilà, les Chinois c’est la même chose !

Les Chinois sont loin d’être tous pareils, ils viennent de régions différentes et ne sont donc pas une communauté homogène. À Belleville il y a des Wenzhou, des Chaozhou, des Dongbei, ils sont en France depuis des générations ou depuis au moins une décennie, ils sont réfugiés politiques ou migrants économiques, ils n’ont pas la même origine : donc parler “des Chinois”, ça ne veut pas dire grand chose.”

Belleville, à cheval sur 4 arrondissements (le 20ème, le 19ème, le 10ème et le 11ème), est très cosmopolite. Différentes communautés y cohabitent et de nombreuses langues y sont parlées ; c’est “Babel-ville” pour beaucoup.

À la fin des années 70, avec l’ouverture politique de la Chine, c’est une nouvelle vague importante d’habitants de Wenzhou – ville portuaire au sud de Shanghai et immense région – qui arrive dans le quartier de Belleville. A cette époque, subissant une forte démolition d’immeubles vétustes puis une restructuration importante, Belleville est réagencé avec des tours HLM et une multitude de locaux commerciaux à reprendre. Les Wenzhou arrivants ont déjà famille et connaissances à Paris, c’est une communauté très soudée et c’est tout naturellement qu’ils se mettent à travailler dans la confection du cuir et dans la restauration. En 1978 s’ouvre d’ailleurs le premier restaurant chinois à Belleville : actuellement le Guo-Min, à l’angle de la rue de Rampal et la rue de Belleville. D’après Donatien, les Wenzhou forment la communauté la plus importante de Belleville, ils y sont majoritaires et de nombreux restaurants de Belleville affichent fièrement cette appartenance.

Wenzhou resto Belleville

Dans les années 80 c’est l’arrivée des Teochew, des Chinois d’Indochine, pour la plupart commerçants et déjà installés dans le 13ème, qui emménagent à Belleville. D’où l’apparition de nombreuses cantines vietnamiennes où les banh-mi sont délicieux et des restaurants où le “Pho” est la soupe mise à l’honneur.
Resto chinois vietnamiens

Les derniers Chinois à arriver à Belleville sont les Dongbei, essentiellement des femmes et des hommes du Nord-Est de la Chine, âgés de 40 à 50 ans.  “La plupart licenciés d’entreprises industrielles d’État, ils viennent en France pour se  créer une nouvelle vie ”. D’après Donatien, ils sont issus d’une classe moyenne, la plupart des femmes sont mariées mais souvent séparées avec un ou plusieurs enfants. Ces Dongbei n’ont pas le soutien d’une diaspora déjà installée à Paris et leur intégration est de ce fait plus difficile. Placés chez des commerçants ou travaillant comme ouvriers, les Dongbei ont du mal à survivre à Paris. Contrairement à d’autres communautés chinoises qui cultivent la discrétion, beaucoup de femmes Dongbei sont connues pour exercer le plus vieux métier du monde sur les trottoirs de Belleville.

Oui, les Chinois de Belleville sont bien d’origines diverses !
Il y a plusieurs communautés, qui ne se côtoient que très peu, sauf parfois au moment des repas. Dans la rue de Belleville, on remarque une division qui émane de ces vagues d’immigration. Côté 20 ème arrondissement, les nombreux restaurants Wenzhou se succèdent et partagent le trottoir de droite avec des cafés kabyles et boulangeries tunisiennes tandis que le côté 19ème arrondissement est plutôt dédié aux commerçants d’Asie du Sud-Est. Dans le 10ème s’ouvrent des boui-boui chinois originaires du Nord-Est de la Chine.

Paris est la seule ville au monde où il y a plusieurs quartiers chinois !

  • Le quartier d’Arts & Métiers, le plus ancien quartier chinois de Paris, où se situent les maroquineries, les ateliers de fabrication de bijoux, etc.
  • Le 13ème arrondissement, les Olympiades : le plus connu et pourtant le moins chinois! Donatien explique que la communauté chinoise du 13ème est en fait une communauté d’Asie du Sud-Est. C’est à dire des chinois immigrés depuis parfois plus de 4 siècles au Laos, au Vietnam, et au Cambodge.
  • Belleville, mise en lumière dans cette « balade à Belleville la Chinoise ».

Il y a aussi quelques communautés chinoises dans les quartiers de La Chapelle, Crimée, Faubourg-St Martin, mais aussi en banlieue comme à Aubervilliers, Pantin, Bagnolet, Bobigny…

 

http://www.africultures.com/php/?nav=article&no=10903

Un été à Belleville : le quartier chinois Un mercredi au cœur du Belleville chinois

 

Noémie Coppin

24|07|2012

Installée dans le quartier de Belleville à Paris, la rédaction d’Afriscope, le magazine d’Africultures, a choisi de vous faire découvrir dans cette nouvelle série estivale, cet espace multiculturel. Chaque semaine, aux côtés des habitants, découvrez ce quartier au quotidien bouillonnant.

 dans Crime

Belleville, quartier historique d’immigration, à cheval sur le 10e, 11e, 19e et 20e arrondissement. Les vagues d’immigration juive d’Europe de l’Est puis maghrébine sont aujourd’hui relativement connues. Mais l’histoire du peuplement chinois dans ce quartier populaire reste encore méconnue. Or, sur ses 60 000 habitants, Belleville compte près de 20 000 Chinois. Un habitant sur trois ! Cela vaut bien une petite balade…

45 rue de Tourtille, près du métro Belleville. Les vitres d’une petite maison affichent leurs caractères chinois. C’est le local de Chinois de France – Français de Chine, association franco-chinoise qui propose des cours de langue, de calligraphie, de kung-fu ou de cuisine des raviolis… C’est Donatien Schramm, sympathique barbu à lunettes, qui l’a créée, en 1998 : « Quand j’ai rencontré ma femme, d’origine chinoise, j’ai voulu comprendre pourquoi ses parents, qui ne parlent pas un mot de français ni de mandarin, qui n’ont jamais fait d’études, ont immigré en France en 1959″. Son but est alors de brasser les populations du quartier, de provoquer du débat : « Deux fois par semaine, il y a des cours mélangeant français et chinois sur un thème. Une fois par mois, on organise un thé/dialogue, on participe aux fêtes de quartier… »

Une immigration de travailleurs
Nous quittons les bancs et le tableau blanc de l’association pour rejoindre la terrasse du café voisin. Pas une minute ne passe sans que Donatien ne dise bonjour à l’un de ses amis ou ne lance une blague. « Je suis un peu le maire de Belleville ! », plaisante-t-il, en donnant une accolade au prof de Kung-fu de l’association, qui passe par là. Bien plus qu’un maire, Donatien est un fin connaisseur de l’immigration chinoise en France. Il raconte l’arrivée des premiers Chinois à Belleville, des colporteurs originaires de Qingtian, région montagneuse à 400 kilomètres au sud de Shanghai : « Les premiers sont arrivés à Paris en 1 888 et ont ouvert des magasins du côté de la gare de Lyon ». Puis, avec la guerre de 14-18, la France a dû combler son besoin de main-d’œuvre pour faire tourner les usines, désertées par les hommes partis au front. « Les colonies n’ont pas suffi, et 140 000 travailleurs ont été recrutés en Chine, notamment autour de Shanghai. 3 000 d’entre eux étaient des proches des colporteurs Qingtian ». Ces hommes seuls arrivent en France en 1917, dans la perspective de gagner de l’argent, puis sont rejoints dès le début des années trente par d’autres hommes du port voisin de Wenzhou. Au milieu des années soixante-dix, la Chine sort de plusieurs décennies de fermeture. Mao est mort, la page du grand bond en avant et de la révolution culturelle est tournée. « On peut quitter le pays à condition d’avoir de l’argent. Mais n’ont de l’argent que ceux qui ont de la famille à l’étranger, notamment à Paris. Ce sont donc les familles des colporteurs Wenzhou et Qingtian qui arrivent de façon massive dans les années soixante-dix ». Ils vont s’installer à Belleville, quartier qui offre de nombreux logements, ateliers et magasins vides, quittés par les juifs séfarades dès qu’ils en ont eu les moyens ou expropriés lorsque de la réhabilitation du quartier. Il y a aussi les « Chinois d’Indochine », qui arrivent à la fin de la guerre du Vietnam, du Laos, de la prise de pouvoir par Pol Pot au Cambodge. Ces Chinois sont francophones, ils connaissent l’administration française, et ils vont former, en arrivant, le très visible et exotique quartier chinois du 13e arrondissement. Certains, faute de place, s’installeront à Belleville alors en pleine rénovation et ouvriront des boutiques proches du métro.

Les Chinois vont peu à peu racheter les commerces maghrébins. Les Tunisiens et les Algériens qui étaient installés sur l’axe Faubourg du Temple-Belleville sont forcés de reculer vers Couronnes, de part et d’autre du boulevard. Les magasins discount d’un groupe tunisien, qu’on pouvait trouver tout le long de cet axe, cèdent alors la place à d’immenses supermarchés chinois. C’est tout un volant économique et immobilier du quartier qui est aujourd’hui tenu par des Chinois.

Une immigration féminine
Plus récemment, une nouvelle immigration chinoise est apparue. Les Dongpei, originaires des grandes villes du Nord-Est de la Chine. « Ce sont surtout des femmes, touchées par les bouleversements économiques en Chine dans les années quatre-vingt-dix. Des anciennes travailleuses du textile ou de la sidérurgie. Sans réseau d’entraide familiale comme celui des Wenzhou, elles se retrouvent isolées. Au mieux, elles deviennent nounous ou trouvent de petits jobs lorsqu’elles ont des papiers. Mais la plupart se prostituent ». Parce qu’elles donnent une mauvaise image de la communauté, elles sont méprisées par les autres chinois. Et cela pèse dans la vie des femmes chinoises du quartier, comme l’explique Victoria Chu, coquette interprète née à Taiwan et vivant à Paris : « Avant, j’avais les cheveux longs, et à chaque fois que je venais à Belleville, dès que je m’arrêtais cinq minutes au carrefour, on me demandait, en chinois, Ni hao ! Duoshao qian ? (C’est combien ?) ».

Le sentiment d’insécurité des Chinois à Belleville
Un sujet polémique depuis leurs deux manifestations en 2010 et 2011, contre des agressions récurrentes. Selon Donatien, la lecture en termes de clivage ethnique n’est pas la bonne. « Il s’agit avant tout d’un problème social. Comme tout quartier populaire, Belleville est touché par la délinquance, la drogue. Certains Chinois en sont victimes, mais pas exclusivement. Les cibles sont les personnes les plus fragiles : les femmes seules, les petites vieilles, les prostituées ». Cela dit, certaines habitudes culturelles chinoises en font des cibles privilégiées : « ils sont souvent commerçants, drainent d’importantes sommes d’argent, préfèrent le liquide à la carte bancaire, et ne vont pas souvent porter plainte, soit parce qu’ils sont sans-papiers, soit parce qu’ils ne parlent pas bien français ». C’est le cas de la souriante Zheng Chunying, qui apprend le français avec Donatien depuis 4 ans. De Wenzhou, elle est arrivée à Belleville il y a 13 ans, pour rejoindre son mari et sa fille : « Je me suis fait voler mon sac, ma fille aussi une fois. Dans la rue, j’ai appris à être vigilante, à me méfier de tout le monde. Mais je n’ai pas été porté plainte car je ne parlais pas assez bien français ». Donatien rebondit : »Parfois, c’est du bon sens. Quand la patronne d’un restaurant sort à minuit, tire le rideau de fer avec la recette de la journée à la main, dans une enveloppe, il n’est pas étonnant qu’elle se fasse agresser, et cela n’a rien à voir avec le fait qu’elle soit chinoise ». Cela dit, les deux manifestations, exclusivement composées de Chinois, n’ont pas été ouvertes à d’autres communautés, qui auraient pu elles aussi s’estimer victimes d’agressions. La revendication était alors clairement ethnique, témoignant d’un profond malaise dans le quartier. « Les Chinois sont comme les autres, ils sont souvent racistes. Face à un problème récurrent, beaucoup choisissent la facilité de la lecture en termes ethniques. Je pense que c’est plus compliqué que cela », explique Donatien.

Le vivre-ensemble au quotidien
Pour Donatien, le quartier vit très bien sa multiculturalité : « On voit se côtoyer dans nos cours Thierry le Réunionnais, Rachelle l’Antillaise, Yannick le Guadeloupéen, Latifa l’arabe, et ils s’en fichent de qui est qui. Ce qu’ils veulent, c’est apprendre le chinois, ensemble. Là, on prend un café dans un bar tenu par un kabyle, mais on s’en fiche qu’il soit arabe. C’est Ali, il est sympa et c’est tout ce qui importe ». Jiang Chaimei, cheveux courts et sourire discret, membre du bureau de l’association, hoche la tête. Elle est arrivée ici pour rejoindre sa belle-sœur en 2001, avec son fils aîné. Mais Lucie, la petite dernière de 8 ans, est née ici. « Dans mon immeuble, je croisais souvent une voisine, Nadia. Lucie lui disait toujours bonjour alors un jour, elle nous a invités à manger. Quand j’ai eu mon cancer du sein, elle a été très présente, elle m’a servi d’interprète. Si je vais mieux aujourd’hui, c’est un peu grâce à elle ». C’est cela aussi, le vivre-ensemble à Belleville.

 

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/07/02/01016-20100702ARTFIG00573-la-revolte-des-chinois-de-belleville.php

La révolte des Chinois de Belleville

 

  • Par Cyril Hofstein
  • Mis à jour le 02/07/2010 à 17:42
  • Publié le 02/07/2010 à 16:41
C'était le 20 juin dernier. Une grande première : près de 10 000 immigrés asiatiques défilent dans les rues de Belleville. Les jeunes, qui portent des tee-shirts proclamant leur attachement à ce quartier de la capitale, demandent à la France de les protéger. (Fanny Tondre)

 

20090523PHOWWW00183 dans FolieChinatown-sur-Seine est en ébullition. De nombreuses associations d’immigrés de ce quartier multiethnique de la capitale sont mobilisées contre des bandes qui les détroussent et les terrorisent. Reportage dans une communauté qui ne veut plus être discrète et qui réclame justice.

Longtemps, ils ont préféré le silence. Puis, tout à basculé. Les Chinois de Belleville sont descendus dans la rue. Pour la première fois, la communauté étrangère la plus discrète de la capitale a choisi la pleine lumière. Le 20 juin 2010, plus de 10 000 personnes, majoritairement d’origine asiatique, se sont rassemblées pour protester contre l’insécurité qui gangrène le quartier. Sur les banderoles déployées et les tee-shirts édités spécialement pour l’occasion, de nombreux slogans consensuels imprimés sur fond bleu-blanc-rouge:«Sécurité pour tous», «Belleville quartier tranquille», «Halte à la violence » ou encore « J’aime Belleville».Pacifique mais tendu, le cortège, dont l’ampleur sur le boulevard de la Villette a autant surpris ses organisateurs que les pouvoirs publics, a finalement dégénéré en affrontements avec les gendarmes mobiles, alors que les manifestants commençaient à se disperser. Comment en est-on arrivé là?

En fait, cela fait plusieurs années que les Chinois, de leurs propres aveux, subissent la loi des bandes ultraviolentes qui écument les quatre arrondissements de Belleville (Xe, XIe, XIXe et XXe). Mais le point de non-retour a été franchi dans la nuit du 1er au 2 juin 2010, à l’occasion d’un mariage au restaurant Le Nouveau Palais de Belleville, un des lieux emblématiques des grandes fêtes de la communauté chinoise de Paris et de sa banlieue. Alors que les invités commençaient à partir, vers minuit, cinq personnes ont été agressées coup sur coup par des jeunes des cités voisines qui les attendaient à la sortie. L’enjeu? Voler les enveloppes rouges qui, traditionnellement, contiennent les sommes d’argent en espèces offertes aux invitants.

Au moment de la dispersion de la manifestation du 20 juin 2010, des affrontements ont opposé les forces de l'ordre à de jeunes Chinois qui tentaient d'empêcher le vol à l'arraché d'un sac à main. (Fanny Tondre) Au moment de la dispersion de la manifestation du 20 juin 2010, des affrontements ont opposé les forces de l’ordre à de jeunes Chinois qui tentaient d’empêcher le vol à l’arraché d’un sac à main. (Fanny Tondre)

 

Devant la violence des attaquants, le garde du corps chinois d’un commerçant, qui portait une arme à feu, aurait poursuivi l’un des agresseurs présumés, le blessant de deux balles dans les jambes, avant d’être arrêté par la police, puis écroué. De son côté, le jeune voleur blessé a été hospitalisé, puis, selon la rumeur, relâché. Un geste qui a provoqué un véritable électrochoc à Belleville. «Je suis vraiment triste et je ne comprends pas comment tout cela a pu arriver, assure, très émue, la soeur du tireur présumé.Mon frère est quelqu’un de très calme. Jamais il n’aurait fait cela s’il n’avait pas cru sa propre vie ou celle d’un proche vraiment menacée.» Héros qui s’est enfin dressé contre la violence, pour certains, victime d’un système injuste, pour d’autres, ou tête brûlée, le garde du corps est devenu le symbole d’une communauté à bout de nerfs.

«C’est l’agression de trop dans une atmosphère de plus en plus délétère entre communautés, explique un policier de Belleville, spécialiste de l’immigration chinoise. Cela fait des mois que plusieurs associations asiatiques tirent la sonnette d’alarme auprès des services de police et des représentants de la Ville et de l’Etat. En vain. Dans ce contexte, des jeunes issus de la diaspora chinoise ont diffusé via internet des propos hostiles à l’encontre des populations maghrébines et afro-antillaises, assimilées de façon générale aux agresseurs qui s’en prennent aux Chinois. Il est plus que temps de trouver des solutions. Belleville est en ébullition.»

Derrière les néons des restaurants, les petites boutiques bruyantes et les tables accueillantes des cafés de la rue de Belleville, où les bobos s’efforcent de retrouver le Paris rêvé de Mistinguett et de Ménilmuche, l’image d’Epinal du quartier multiculturel et ouvert commence à se fissurer. Pourtant, dans la chaleur suffocante de ce début d’été, chacun s’efforce de tenir le même discours et joue la carte de l’apaisement. La consigne semble être la même:«Ne pas dresser une communauté contre une autre ni stigmatiser qui que ce soit. Il faut vivre ensemble, Français et immigrés», comme le martèle Zhao Yunang, porte-parole de la puissante Association des Chinois résidant en France, à l’origine de la manifestation du 20 juin. Mais, quand la nuit tombe sur le Belleville des ruelles et des places désertes, la tension remonte brusquement.

«En France, il n’y a pas de justice pour les victimes»

Cheng-Chi habite depuis six ans à Belleville. Elle a déjà subi deux agressions. Un traumatisme qui la hante. (Fanny Tondre) Cheng-Chi habite depuis six ans à Belleville. Elle a déjà subi deux agressions. Un traumatisme qui la hante. (Fanny Tondre)

 

«Nous n’en pouvons plus, tout simplement. Il faut que la police fasse son travail, explique Weiming, un commerçant qui vient d’ouvrir une nouvelle enseigne dans l’une des nombreuses rues traversantes du quartier. Cela fait des années que les Chinois, mais aussi les autres habitants, sont victimes d’agressions de plus en plus violentes. Nous vivons dans la peur. Il faut que cela s’arrête. La manifestation du 20 juin a été exemplaire. Mais, à la fin du cortège, un jeune a essayé de voler un sac à main. Alors, certains se sont défendus et l’ont livré aux forces de l’ordre qui, sans réfléchir à la situation, ont utilisé des gaz contre les Chinois tout en laissant partir le voleur. Ce n’est pas normal que ceux qui pourrissent la vie du quartier s’en tirent en toute impunité. Il n’y a pas de justice en France.»

Une impression partagée par de nombreux Chinois. Au point que des rumeurs de création d’une milice d’autodéfense circulent actuellement dans le quartier. Un peu comme en 2001, quand, après l’agression mortelle d’un Chinois de Belleville par des bandes venues des cités de l’Orillon (XIe) et de Rébeval (XIXe), la presse communautaire avait spéculé sur la mise en place de groupes de protection.

«Il faut vraiment garder la tête froide, assure Donatien Schramm, à l’origine de l’association culturelle Chinois de France, Français de Chine. Ces histoires de milices ne sont que des rumeurs. A mon avis, l’explication de la situation par des critères ethniques ne tient pas du tout. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que les Chinois constituent une proie idéale pour des bandes de jeunes désoeuvrés, de plus en plus mobiles et organisés. Les voleurs cherchent d’abord de l’argent facile, c’est tout. Ils ne ciblent pas les Chinois parce qu’ils sont Chinois. Il ne faut pas tout confondre. Il n’y a pas de guerre ethnique à Belleville.»

Reste que les bandes ont bien étudié le profil de leurs victimes. Pourquoi, en effet, s’en prendre plus particulièrement aux Chinois? Ils comptent tout simplement sur le fait que, certains étant en situation administrative irrégulière, ils n’ont pas de compte en banque et reçoivent leur salaire en espèces. Sans papiers, ils ne vont pas non plus prendre le risque de porter plainte auprès de la police… Si l’on ajoute la barrière de la langue, la méconnaissance des lois françaises et les cadeaux en argent liquide offerts traditionnellement pour les fêtes, les voilà placés au rang de victimes idéales que l’on peut dépouiller presque sans risque. Ainsi, à quelques heures d’intervalle le même jour de la semaine dernière, entre 4 h 45 et 7 heures du matin, pratiquement en face du bar Le Vieux Saumur, rue de Belleville, un couple, puis une jeune femme, tous d’origine chinoise, ont été agressés à coups de boules de pétanque, puis détroussés par la même bande.

Face à la violence, les maires s’avouent démunis

Prise en otage par des bandes de jeunes ultraviolentes, la population de Belleville le quartier parisien aux 80 nationalités veut vivre en toute sécurité, comme Weiming (au centre), qui tente de fédérer tous les habitants de sa rue. (Fanny Tondre) Prise en otage par des bandes de jeunes ultraviolentes, la population de Belleville le quartier parisien aux 80 nationalités veut vivre en toute sécurité, comme Weiming (au centre), qui tente de fédérer tous les habitants de sa rue. (Fanny Tondre)

 

«Il n’existe pas de statistiques fiables du nombre d’agressions », constate Frédérique Calandra, maire (PS) du XXe arrondissement, qui a participé à la manifestation du 20 juin et lancé, avec les trois autres maires des arrondissements de Belleville, un comité de pilotage avec la communauté chinoise. Elle explique:«Mais il est clair que les Chinois sont victimes d’une délinquance opportuniste. Je ne crois pas au caractère raciste des agressions. Le plus important désormais, c’est de résoudre la question de l’accès au droit et de favoriser la compréhension du système de l’administration et de la justice en France. Dans le cas du phénomène de bande, il est évident que nous manquons d’outils judiciaires adaptés. Il faudrait imaginer des peines de substitution à la prison pour les délinquants, comme des travaux d’intérêt général ou un éloignement du quartier. Mais, pour l’heure, nous sommes démunis.»

Un sentiment d’impunité qui contribue à envenimer la situation. D’autant plus que la communauté chinoise de Belleville ne parle pas d’une seule voix. Plus d’une quarantaine d’associations de commerçants ou rassemblant des acteurs de la vie culturelle tentent d’établir un dialogue. Et les pouvoirs publics ont parfois du mal à identifier le bon interlocuteur. «Mais tout va changer, promet Weiming. Nous avons l’intention de porter plainte systématiquement après chaque agression. Et nous allons créer une fondation pour les victimes. Maintenant, plus personne ne pourra nier le problème.» Le temps du mutisme est révolu.

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