Suicide du commissaire Helric Fredou à Limoges le 8 janvier 2015 : qu’en est-il vraiment ? 28 juillet
On ne le sait toujours pas.
Officiellement, il s’agit toujours d’un suicide dont les raisons restent inconnues, quoique la mère et la soeur du commissaire aient protesté.
Depuis la publication des premiers articles y consacrés est paru un ouvrage du journaliste Alain Hamon sur les suicides dans la police et la gendarmerie.
Quelques extraits de ce livre sont disponibles sur Internet, dont certains concernent le cas du commissaire Helric Fredou et précédemment celui du commissaire Christophe Rivieccio dont il avait lui-même découvert le corps le lundi 18 novembre 2013.
Selon Alain Hamon, ces deux policiers de Limoges étaient perfectionnistes, exigeants, et auraient mal supporté de n’être pas suivis dans leurs enquêtes.
Le premier était originaire de Limoges et en avait été nommé directeur adjoint du Service Régional de Police Judiciaire (SRPJ) à l’été 2012.
Le second, n°3 de ce SRPJ, était son subordonné depuis huit mois lorsqu’il s’était suicidé dans son bureau, un dimanche, le 17 novembre 2013, au même âge de 44 ans. Il avait laissé une lettre pour expliquer son geste, ce que n’a pas fait le commissaire Fredou.
« Les policiers ne comprennent pas certaines décisions de justice »
Paris Match | Publié le 13/10/2015 à 17h59 |Mis à jour le 13/10/2015 à 18h08
Grand reporter spécialisé police-justice, Alain Hamon sort «Le jour où j’ai mangé mon flingue», un ouvrage consacré au suicide des policiers et gendarmes (en librairie depuis le 8 octobre). Pour Paris Match, il décrypte la colère des policiers qui crient leur ras-le-bol mercredi devant le ministère de la Justice.
Paris Match. Les syndicats policiers ont appelé à un «rassemblement» mercredi place Vendôme sous les fenêtres de Christiane Taubira. Quelles sont les raisons de ce ras-le-bol ?
Alain Hamon. Une telle manifestation devant le ministère de la Justice est arrivée deux fois en 32 ans. La dernière datait de 1983 et ça c’est très mal terminé. Ce rassemblement de mercredi est une réaction à la fusillade de la semaine dernière près de Saint-Ouen. Le détenu abattu, qui a grièvement blessé un policier, était en cavale après une permission de sortie. Les policiers veulent dire à la justice que la situation actuelle ne leur convient pas du tout. Ils ne comprennent pas certaines décisions de justice et on ne leur explique pas.
Y’a-t-il d’autres raisons?
Ce braquage mortel est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le ras-le-bol vient surtout du manque de moyens. La révision générale des politiques publiques de Nicolas Sarkozy a réduit les effectifs de 17 000 policiers. En parallèle, il y a eu l’instauration de la politique du chiffre, visant à faire baisser la délinquance. On demande aux forces de l’ordre de faire plus avec moins d’effectifs. Manuel Valls a supprimé la politique du chiffre, la remplaçant par la politique du résultat. Mais comment faire du résultat sans chiffre? Quant aux moyens, Bernard Cazeneuve a promis un réengagement de 500 policiers par an depuis 2012. Mais on reste loin du compte par rapport aux 17.000 supprimés.
S’ajoute également un épuisement lié au plan Vigipirate, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
En effet, CRS et escadrons de gendarmes mobiles sont en permanence sollicités. Ils n’en peuvent tellement plus qu’avant l’été, plusieurs compagnies de CRS, ne pouvant faire grève, se sont mises en arrêt maladie. Les CRS me disent : «On est plus jamais chez nous, on ne voit plus nos familles. On rentre à la compagnie et on est rappelé immédiatement». Ils sont en déplacement perpétuel.
« Pour les policiers, les outils juridiques actuels ne sont plus adaptés à la criminalité d’aujourd’hui »
Quelles sont les principales revendications des forces de l’ordre avec la manifestation de mercredi?
En manifestant devant la Chancellerie, ils réclament un travail sur le volet pénal, avec notamment une réforme du Code de procédure pénal. Ils estiment en effet que les outils juridiques actuels ne sont plus adaptés à la criminalité d’aujourd’hui. La revendication sous jacente est de faire constater qu’ils ne peuvent plus assurer leurs missions.
La dévalorisation du métier est aussi l’une des raisons du ras-le-bol des policiers. Comment le revaloriser?
Il faut le revaloriser aux yeux de la population, des chefs et des policiers eux-mêmes. Dans le plan anti-suicide présenté par Bernard Cazeneuve fin janvier, un paragraphe à la fin fait état d’une campagne d’information de la direction générale de la police sur la dangerosité et les difficultés du métier de policier. Mais, on n’a pas encore vu la moindre trace de cette campagne. On peut peut-être supposer que c’est lié à un problème de financement. En Belgique ou encore à Montréal, il y a eu des mesures pour revaloriser le métier de policier, eux ont mis les moyens nécessaires.
»Le suicide des policiers était tabou jusque chez les ministres »
Le ras-le-bol peut mener au burn out, voir au suicide, thème de votre dernier livre. Pourquoi le suicide chez les policiers reste un sujet tabou?
En 2014, il y a eu 55 suicides de policiers. En 2015, nous en sommes déjà à 32 selon mon décompte élaboré à travers la presse (le dernier date de dimanche lorsqu’un gardien du commissariat de Villeurbanne s’est donné la mort, chez lui, avec son arme de service, Ndlr). Un ancien membre de cabinet du ministère de l’Intérieur -qui a officié sous plusieurs ministres- m’a d’ailleurs confié un jour : «Ce n’est pas qu’on a rien fait, c’est qu’on ne voulait même pas savoir». Le sujet était tabou jusque chez les ministres. En 1996, il y a eu 77 suicides dans la police, à chaque fois on évoquait des problèmes personnels et non des raisons professionnelles. Manuel Valls, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, a été le premier à lever le tabou. A l’époque, il n’avait pas non plus les moyens alors il a fait des discours. De même, il n’est pas allé jusqu’à dénoncer officiellement les mauvaises conduites de responsables de la police et de la gendarmerie. Bernard Cazeneuve a aussi levé aussi le tabou mais n’est pas allé jusqu’au bout. Il n’a pas non plus les moyens de faire en sorte que ça change et ne s’attaque pas à bras le corps à certains comportements déviants dans la hiérarchie interne. L’administration continue à jouer sur les mots, évoquant surtout des divorces et autres problèmes personnels pour parler des suicides.
Dans votre livre, vous évoquez aussi la pression hiérarchique et de mauvaises relations humaines qui peuvent être l’une cause de passage à l’acte
Pendant longtemps, quand ça n’allait pas, on tapait sur les patrons, les commissaires de police. En tant que journaliste spécialisé police-justice, j’ai tapé joyeusement sur les commissaires de police. Certains le méritaient, d’autres peut-être pas. En travaillant sur le burn-out chez les policiers ces dernières années les témoignages faisaient ressortir que le harceleur était plutôt un officier (lieutenant, capitaine) ou un «petit chef» (brigadier, brigadier chef, brigadier major). La plupart des rescapés du suicide témoigne du comportement d’un brigadier chef par exemple. Dès qu’ils prennent du galon, ils oublient ce qu’ils ont été et deviennent imbuvables. Pourtant, ils sortent du même moule que les policiers qu’ils maltraitent. Parfois, on ne leur apprend pas à bien faire avec leurs hommes et on ne leur tape pas sur les doigts dans le cas contraire.
Le plan anti-suicide de Bernard Cazeneuve vous paraît-il efficace?
Ce sont des mesurettes. La mise en casiers individuels où déposer son arme à la fin du service -afin de contrer les suicides aux domiciles – est une mesure qui fait rire les fonctionnaires. De même, il n’y a eu aucun retour d’expérience sur cette mesure depuis janvier.