A l’attention de magistrats ayant perdu de vue l’objet de leurs fonctions : comment Joseph Vacher fut confondu 10 juillet
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Joseph Vacher, l’éventreur de bergères
Par Jacques Expert et Henri Haget, publié le 26/07/2012 à 10:00 , mis à jour le 08/08/2012 à 11:51
Cet homme d’une extrême violence fut sans doute le premier serial killer français. Son histoire connut un énorme retentissement à la fin du XIXe siècle et inspira bien plus tard le réalisateur Bertrand Tavernier.
Il marche, Joseph Vacher. Il marche du matin au soir, errant dans les campagnes, sans but ni raison. Il dort dans des granges, dans les bois ou au creux d’un fossé. En trois ans, il a traversé le pays, des Vosges à la Méditerranée. Personne ne l’attend jamais nulle part. Alors il marche. Et il tue.
Sa vie de vagabond – dans la France de 1890, on ne parle pas encore de « routard » -, Joseph Vacher la porte sur son visage. Séquelle d’une tentative de suicide par balle, une paralysie faciale a figé ses traits en un rictus effrayant : bouche tordue, regard injecté de sang. Il souffre également d’une infection de l’oreille droite qui, selon le journal Le Petit Parisien, « purule en permanence et dégage une odeur nauséabonde ». Sa barbe de cosaque n’adoucit pas le portrait.
Guillotiné en 1898, à l’âge de 29 ans, pour avoir perpétré 12 meurtres, Joseph Vacher n’est pas seulement le premier serial killer français, l’ancêtre de Francis Heaulme ou de Patrice Alègre. Son physique animal, l’extrême cruauté de ses crimes, où les victimes sont éviscérées avant d’être violées, composent chez lui la figure mythologique du « monstre ». Il faudra tout le talent d’acteur de Michel Galabru pour lui rendre un soupçon d’humanité dans le film de Bertrand TavernierLe Juge et l’assassin (1976).
Le juge, c’est Emile Fourquet, magistrat instructeur au tribunal de Belley (Ain). A une époque où l’information ne circule pas encore sur Twitter, il parvient à établir le lien entre plusieurs agressions de bergères commises dans des départements parfois distants de 600 kilomètres. Son bureau est rempli de tableaux gigantesques qu’il noircit d’informations sur celui que la presse surnomme « l’étrangleur du Sud-Est ». Ce travail de bénédictin lui vaut d’être considéré comme le pionnier d’une technique d’investigation qui fera florès : le profilage.
Ses frères et soeurs, premières victimes de sa démence
En cette fin du XIXe siècle, la vie est rude dans les campagnes. Chez les Vacher plus qu’ailleurs. Le jeune Joseph grandit dans une famille de cultivateurs de l’Isère, écartelé entre un père violent et une mère dévote, en proie à des hallucinations. Ses 15 frères et soeurs sont les premières victimes de ses accès de démence durant lesquels il brise tous les objets à sa portée et frappe quiconque se met en travers de son chemin. Quand il revient à la raison, son passe-temps favori consiste à mutiler les animaux.
A 14 ans, il travaille déjà. Chez les frères maristes de Saint-Genis-Laval (Rhône) qui, en échange, s’essaient à l’éduquer. Sans grand succès. L’adolescent taillé comme un homme est finalement chassé de la congrégation pour « indiscipline et immoralité » : il masturbait ses camarades.
Vacher ne possède rien, que son baluchon et ses instincts. A 17 ans, il multiplie les emplois saisonniers dans la région de Beaufort (Savoie), laissant derrière lui plusieurs morts suspectes. Un enfant de 10 ans, prénommé Joseph comme lui, violé et tué dans une grange, une femme de 35 ans décapitée près de la ferme où il travaille… Mais il marche déjà plus vite que la justice. On le retrouve à Grenoble, serveur dans une brasserie, puis sur le billard d’un chirurgien qui lui ôte un testicule, suite à une maladie vénérienne.
Dans cette vie de misère, sa convocation sous les drapeaux apparaît presque comme un cadeau du ciel. Vacher est affecté au 60e régiment d’infanterie de Besançon (Doubs). Son sens du devoir, son caractère trempé lui valent de passer caporal puis sergent. L’uniforme le galvanise. Trop, parfois. Quand il n’impose pas la discipline à coups de poing, il s’arrache les cheveux et les poils des bras pour montrer combien il est insensible à la douleur. La nuit, ses hurlements d’outre-tombe terrorisent ses camarades. « Je l’ai entendu crier comme jamais je n’ai entendu un homme crier », témoignera l’adjudant Griffoult, son chef d’unité.
Vacher atterrit au dispensaire voisin de Baume-les-Dames pour y soigner son délire de persécution. Son coeur s’emballe pour une jeune domestique du nom de Louise Barrand, qui, dans cette histoire, rendra très vite son tablier. L’amoureux éconduit se tire trois balles de revolver. Il en réchappe, mais son visage est à moitié mort. Lui aussi.
La bergère est mutilée, un sein tranché, avant d’être violée
La suite, c’est Vacher lui-même qui finira par la raconter, trois ans plus tard, dans le bureau du juge Fourquet. Interné à Dole (Jura), il ressort de l’asile au bout de six mois, « sain de corps et d’esprit », selon la faculté. Le premier des 12 meurtres qu’il reconnaît, même si on lui en impute près d’une trentaine, est celui d’Eugénie Delomme, 21 ans, le 19 mai 1894, à Beaurepaire (Isère). La bergère est mutilée, un sein tranché, avant d’être violée. Vacher, qui s’attaque indifféremment aux hommes et aux femmes, va tuer, encore, au moins, 11 fois. En Côte-d’Or. En Ardèche. En Savoie. En Isère. Dans le Var. « Il y a des moments où je n’étais pas maître de moi et où je courais à travers le monde, droit devant moi, me guidant sur le soleil, et ne sachant où j’ai erré », expliquera-t-il, en guise d’épitaphe.
Responsable ou dément ? Le débat a fait rage
Son face-à-face avec le juge Fourquet va durer plus d’un an. Vacher cherche à se faire passer pour fou, ce qui n’est pas insurmontable. Il prétend avoir été mordu par un chien enragé, dans son enfance. Les plus grands psychiatres de l’époque se relaient à son chevet, délivrant des avis contradictoires dans ce qui apparaît, aujourd’hui, comme le premier débat de l’ère judiciaire sur la responsabilité pénale d’un tueur psychotique. Un débat que le juge tranche à sa façon, en écartant systématiquement les rapports concluant à la démence.
Finalement, Vacher passe aux aveux le 3 octobre 1898, après une violente prise de bec avec Fourquet. En échange de ses confessions, il obtient une tribune dans Le Petit Parisien : « A la France. Tant pis pour vous si vous me croyez responsable. Votre seule manière d’agir me fait prendre pitié de vous… » Lors du procès qui l’expédie à l’échafaud, il se présente avec une pancarte autour du cou. Il y est écrit : « J’ai deux balles dans la tête. » Puis il se met à chanter : « Gloire à Jésus ! Gloire à Jeanne d’Arc ! » Le jury dépourvu d’humour ne lui accordera aucune circonstance atténuante.
http://www.geo.fr/photos/reportages-geo/vacher-le-premier-tueur-en-serie-francais-161068
Vacher : le premier tueur en série français
Dans les années 1890, un vagabond sème la terreur dans l’est de la France, égorgeant et mutilant femmes et enfants. Le criminel finit par être arrêté. Mais comment juger un «monstre» ?
Toute la presse est en émoi. Le cadavre égorgé et affreusement mutilé d’un jeune berger a été retrouvé à Courzieu-la-Giraudière, près de Lyon. Le fait divers intrigue particulièrement un homme : le juge Emile Fourquet, qui découvre le 20 juin 1897 la sordide affaire en ouvrant son journal, Lyon Républicain. Décidément, la description de l’assassinat le trouble… Ce jeune juge de 36 ans, tout juste nommé à Belley, dans l’Ain, est saisi d’une intuition qui va marquer sa carrière. Et bousculer à jamais l’histoire du crime…
Lors de sa prise de fonction, deux mois plus tôt, Emile Fourquet a en effet pris le temps de consulter les dossiers de ses prédécesseurs. Parmi eux, celui d’une affaire classée présente une étrange familiarité avec le crime de Courzieu. Le 31 août 1895, vers 15 heures, le cadavre de Victor Portalier, un berger âgé de 16 ans, avait été découvert à Bénonces, dans l’Ain. Selon l’acte d’accusation, le corps du jeune homme était « caché sous des genévriers, presque nu et couvert de blessures. Une énorme plaie s’étendant de l’extrémité inférieure du sternum au pubis ouvrait entièrement le ventre ». Comme dans l’affaire de Courzieu, l’adolescent avait en plus été égorgé, sexuellement mutilé et violé post-mortem. Les témoins signalaient un vagabond sur les lieux portant « une cicatrice ou rougeur sur l’œil droit ». En parcourant le dossier de l’affaire, le juge Fourquet tombe sur une note oubliée, émise par le procureur Fonfrède, basé à Dijon. De son côté, son confrère faisait lui aussi le rapprochement entre le crime d’Augustine-Adèle Mortureux, une journalière de 17 ans, commis en Côte-d’Or le 12 mai 1895, et d’autres assassinats avec mutilations perpétrés l’année suivante sur de jeunes bergères dans l’Allier et en Haute-Loire. Il demandait à ses collègues des départements voisins de lui signaler tout crime pouvant présenter des similitudes avec ces affaires. Mais l’enquête avait tourné court. Aussitôt, le juge Fourquet entre en contact avec le procureur Fonfrède et, 48 heures plus tard, reçoit un dossier faisant état de sept crimes dans sept départements différents, présentant des caractéristiques communes. L’ambitieux magistrat devine qu’il est en présence d’une série meurtrière. Et s’il tenait là son « Jack l’éventreur », ce serial killer qui a terrorisé Londres et défrayé la chronique neuf ans plus tôt ?
Le juge Fourquet inaugure une technique d’investigation qui fera date : le «profilage»
Consciencieusement, il épluche chacun des dossiers et initie une méthode d’analyse comportementale qui, un siècle plus tard, sera adoptée par le FBI sous le nom de « profilage » criminel. Il dresse deux tableaux comparatifs. Sur le premier, il liste le nombre et l’emplacement des blessures, la position des corps, l’arme probable utilisée, et détermine ainsi ce que l’on nomme aujourd’hui « le mode opératoire » de l’assassin. Sur le second tableau, il compare, scène par scène, les dépositions des témoins et souligne les points communs pour aboutir à un signalement extrêmement précis du suspect qu’il envoie à 250 juges d’instruction dans toute la France. Il s’agit là d’un procédé totalement inédit. A la fin du XIXe siècle, la police nationale n’existe pas. Les enquêtes et les instructions restent cantonnées à l’échelle des départements, et un criminel qui quitte le territoire après son forfait est assuré de passer à travers les mailles de la justice. Il faudra attendre 1907 et les brigades de police mobiles instituées par Clemenceau, les fameuses « brigades du Tigre », pour que la police commence à mener des enquêtes à l’échelle nationale.
Mais Fourquet n’a pas le choix. Selon toute vraisemblance son suspect est un vagabond qui se déplace à travers tout le pays. L’homme aurait une trentaine d’années, les cheveux et la barbe noirs, et se distinguerait par une cicatrice sur le côté droit de la bouche, le blanc de l’œil droit sanguinolent, avec un regard qui « impressionne désagréablement ». Il porte un sac en toile en bandoulière, un long bâton à la main et, sur sa tête, un chapeau de paille à larges bords.
Le nombre de vagabonds renforce le sentiment d’insécurité des Français
Le pari du juge Fourquet est insensé. Retrouver un tel individu parmi tous ceux qui errent à travers les campagnes françaises revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. En cette fin de XIXe siècle où le chômage pousse les miséreux sur les routes à la recherche de moyens de subsistance, on estime le nombre des vagabonds, ou chemineaux comme on les appelle alors, entre 200 000 et 400 000. Leur présence est considérée comme un fléau par les pouvoirs publics et certains députés, tel l’abbé Lemire, appellent le gouvernement « à purger les campagnes de ces individus malfaisants ». Le sentiment d’insécurité qui règne chez les habitants des provinces se traduit en chiffres. « En 1894, le ministre de l’Intérieur ne recense pas moins de 19 123 délits imputables à des vagabonds contre 2 544 pour les années 1826 à 1830″, estime Jean-Pierre Deloux, auteur de Vacher l’éventreur (éd. Claire Vigne, 1995).
Mais la chance sourit aux audacieux : en août 1897, Emile Fourquet est informé de l’arrestation à Champis, en Ardèche, d’un chemineau correspondant au signalement de l’assassin présumé. L’homme a été interpellé pour « outrage aux bonnes moeurs » alors qu’il agressait une paysanne. A la demande du juge, le prévenu est transféré depuis Tournon jusqu’à Belley. L’individu est agité, incohérent. Lors du voyage, il tente de fausser compagnie aux gendarmes en sautant du train aux cris de « Vive l’anarchie ! Ceux qui nous gouvernent sont des canailles ! » Son nom : Joseph Vacher. Dès que Fourquet le voit, il reconnaît en lui l’assassin : Vacher, qui ce jour-là arbore une toque en fourrure de lapin sur la tête, correspond en tout point au portrait qu’il a dressé.
L’instruction permettra de retracer le parcours du tueur en série. Vacher est né à Beaufort, en 1869, dans une famille de paysans. Les témoins de ses premières années le décrivent déjà comme un être violent et asocial. Il achève néanmoins sa scolarité et, à 16 ans, entre chez les frères maristes de Saint-Génis-Laval. Mais il en est exclu deux ans plus tard pour immoralité, ayant probablement eu des attouchements sexuels avec d’autres novices. Ici commence son errance : il enchaîne des emplois que son caractère étrange et ses accès de rage ne lui permettent pas de garder très longtemps. Il séjourne notamment à Grenoble chez l’une de ses sœurs, une prostituée surnommée « Kilomètres ». C’est dans cette ville qu’après avoir contracté une maladie vénérienne, il doit subir l’ablation d’une partie d’un testicule. Cette opération le traumatise et il l’évoquera souvent lors de l’instruction. Malgré son instabilité, en novembre 1890, à l’âge de 21 ans, il est incorporé dans le 60e régiment d’infanterie de Besançon. Là encore son caractère violent l’isole de ses camarades. Il se plaint de harcèlement et tente même de se trancher la gorge quand on lui refuse une promotion. Il obtient néanmoins le grade de sergent en 1893. Cette même année a lieu un autre épisode qui sera déterminant dans le parcours de Vacher. Il tombe amoureux de Louise Barant, une jeune domestique, mais celle-ci refuse sa demande en mariage. Vacher tire alors à trois reprises sur elle avant de tenter de se suicider avec son pistolet. Louise est grièvement touchée. Vacher aussi survit. Mais il en gardera une surdité à l’oreille droite et une paralysie partielle du visage. Son œil restera aussi injecté de sang, ce qui le rendra plus facilement identifiable par les futurs témoins. Dans un état d’extrême agitation, il est interné à l’asile de Dole (Jura) où l’on diagnostique l’aliénation mentale et « le délire des persécutions ». La tentative de meurtre débouche sur un non-lieu, et neuf mois plus tard, le 1er avril 1894, il est déclaré guéri par ses médecins et lâché sur les routes de France. Sa cavale sanglante peut commencer.
Le premier des onze meurtres qu’il avouera se déroule moins de deux mois après sa sortie de l’asile. C’est celui d’Emilie Delomme, 21 ans, retrouvée étranglée, mutilée et violée à Beaurepaire, en Isère. Trois ans durant, le vagabond bat la campagne vivant d’emplois journaliers, mendiant son pain contre un air d’accordéon ou des cours d’écriture qu’il donne aux enfants des fermes isolées. Il est de plus en plus agressif, invectivant ceux qui croisent son chemin de discours dans lesquels il oscille entre délires mystiques et référence aux anarchistes qui, en ce début des années 1890, entreprennent une campagne d’attentats contre les institutions. Celui qui se désigne alors comme « l’anarchiste de Dieu » traverse la Provence, la Drôme, l’Isère… Ses pas le conduisent jusqu’à la frontière belge. Il sème la mort sur son passage, avec pour victimes, le plus souvent de jeunes bergers et bergères.
Vacher justifie ses crimes abominables par la morsure d’un chien enragé
Le premier d’une longue série d’interrogatoires a lieu le 10 septembre 1897. Vacher commence par nier catégoriquement sa présence à Bénonces en août 1895. Pour le confondre, le juge Fourquet va le piéger. Simulant la fin de l’interrogatoire, il oriente la conversation sur la vie de chemineau qui, dit-il, le fascine. Heureux de se confier, Vacher commence à parler de son périple au long cours. Retraçant innocemment son itinéraire des dernières années, il vient, sans le savoir, de se trahir : il était présent sur les lieux et aux dates de huit meurtres. Après avoir été formellement reconnu par les témoins de Bénonces, l’assassin est conduit à la maison d’arrêt. Le 7 octobre, il rédige une lettre intitulée « A la France ». Elle paraîtra dans Le Petit Journal. Assortie de la devise : « Dieu, droits, devoirs », elle commence par ces mots : « Tampis pour vous si vous me croyez responsable… Votre seule manière d’agir me fait prendre pitié de vous. » Il y avoue les meurtres et affirme avoir agi « dans des moments de rage » qu’il impute à une morsure de chien dont il aurait été victime enfant et aux remèdes qui lui auraient « vicié le sang ».
Cet aveu ne suffit pas. L’homme est instable, il peut se rétracter. Pour étoffer son dossier, le juge Fourquet a besoin d’entendre de la bouche du tueur le détail de ses crimes. Jour après jour, il s’entretient avec Vacher et essaie de le faire parler. Avec un stratagème : il le convainc que reconnaître l’ensemble des crimes lui éviterait la peine capitale car il serait ainsi considéré comme irresponsable. C’est en partie vrai. « Face à l’horreur de tels crimes, l’attitude des aliénistes du XIXe siècle était de considérer que seul un fou pouvait en être l’auteur », explique l’historien Marc Renneville, auteur notamment de Crime et folie, deux siècles d’enquêtes médicales et judiciaires (éd. Fayard, 2003). Or, à cette époque, « on faisait une vraie différence entre fous et criminels, on ne pouvait pas être les deux à la fois », poursuit-il.
En réalité, pour le magistrat de Belley, il est hors de question que Vacher retourne à l’asile. Un non-lieu serait désastreux pour la carrière du juge car l’affaire fait grand bruit dans la presse nationale, et l’opinion publique réclame justice face à de telles abominations. Le Petit Journal a même ouvert une rubrique quotidienne intitulée « Vacher l’assassin » et contribue à maintenir l’indignation autour de la série meurtrière de celui qu’on nomme désormais « l’éventreur du Sud-Est ». Voici comment le quotidien parisien, sous la plume de Jean Frollo, exposait en décembre 1897 les craintes de l’opinion : « Est-il fou ? (…) Le soumettra-t-on de nouveau à un régime réparateur pour que, une fois régénéré, il recouvre le droit de recommencer ses exploits ? » C’est aussi ce que redoute le médecin lyonnais Alexandre Lacassagne, l’un des fondateurs de l’anthropologie criminelle, qui, appelé pour examiner Vacher, estime dans un rapport d’expertise du 12 mai 1898 qu’«un internement pour folie est en effet trop souvent, pour certains criminels, un brevet d’impunité». Son rapport conclut donc que les crimes de Vacher sont ceux « d’un antisocial, sadique, sanguinaire », autrement dit, l’accusé est responsable de ses actes et doit être jugé. Dédaignant les expertises contraires réalisées par d’autres médecins qui considèrent la responsabilité du prisonnier comme « très notablement diminuée », c’est ce témoignage à charge qu’avancera le juge Fourquet lors du procès. « L’affaire Vacher annonce ainsi un mouvement qui, jusqu’à aujourd’hui, va tendre à concilier l’anormalité psychique et la responsabilité pénale », juge Marc Renneville.
Curieusement, le tueur n’est jugé que pour un seul de ses nombreux crimes
Joseph Vacher est donc jugé en cours d’assises en octobre 1898 lors d’un procès expéditif de trois jours. Il est alors le tueur en série français qui détient le plus grand nombre de meurtres : il en a avoué onze mais l’enquête le soupçonne d’en avoir commis une trentaine. Paradoxalement, il n’est jugé et condamné que pour un seul, celui de Bénonces. Vacher est guillotiné en place publique, devant une foule immense, à Bourg-en-Bresse, le 31 décembre 1898. Le juge Fourquet avait finalement obtenu la tête de son assassin. A-t-il fait ce jour-là exécuter un pauvre fou ou un meurtrier sanguinaire responsable de ses actes ? Après la mort de Vacher, les experts vont continuer longtemps à se déchirer sur cette question. Tant est si bien que le juge ne tirera pas de cette affaire la gloire qu’il en espérait et que sa carrière s’achèvera comme elle avait commencé, modestement. Tandis que le fantôme de l’«éventreur du Sud-Est» continue, jusqu’à aujourd’hui, de hanter les mémoires et d’inspirer littérature et cinéma avec le film de Bertrand Tavernier, Le juge et l’assassin.
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