Un petit tour à la commission de la Défense, un passage à la commission des Affaires sociales, un détour par une commission spéciale… Lors de ses cinq années passées à l’Assemblée nationale, Richard Ferrand a louvoyé entre les différents groupes de travail parlementaires en fonction des lois étudiées. Le Canard enchaîné, qui a repéré ces va-et-vient, y voit une manière de favoriser les mutuelles. En effet, cet ancien directeur général des Mutuelles de Bretagne a continué à être rémunéré comme chargé de mission pour l’organisme, pour 1250€ net mensuels durant toute la législature de 2012 à 2017.
Lors de son arrivée au Palais-Bourbon, Richard Ferrand est nommé membre de la commission de la Défense, mais il va faire des allers-retours à plusieurs reprises : le premier a lieu le 10 novembre 2012, lorsqu’il intègre la commission des Affaires sociales qui examine justement une proposition de loi en faveur… des mutuelles. Il s’offre même une passe d’armes avec le député UMP Dominique Tian, en défendant farouchement la gestion des mutuelles.
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Richard Ferrand ne va pourtant rester que 20 jours dans cette commission, jusqu’au vote de la loi en question. Son rôle lors de cet épisode était connu, et Richard Ferrand a dû s’en expliquer. Il a notamment répondu au Monde que sa rémunération par les Mutuelles de Bretagne était due au fait qu’il avait « toujours tenu à conserver une activité professionnelle, quels qu’aient été [ses] mandats ». Quant à sa défense farouche des mutuelles, elle était, selon lui, le fruit d’une conviction sincère : « Devais-je m’abstenir de défendre un principe au prétexte que je connais le sujet ? »
Chose moins connue : la suite du parcours du député à l’Assemblée montre que ce type d’épisodes s’est réitéré. Richard Ferrand va en effet revenir à la commission des Affaires sociales le 12 janvier 2013, pour deux petits jours seulement : l’examen des textes sur les mutuelles est repoussé, pas besoin de s’attarder… L’élu attend le 27 février pour re-quitter la commission de la Défense et revenir à celle des Affaires sociales. Il serait dommage de louper les débats sur le projet de loi rendant l’affiliation à une mutuelle obligatoire…
En 2015, Richard Ferrand, qui est encore revenu et reparti de la commission de la Défense, réussit même à être nommé comme l’un des rapporteurs d’un projet de loi relatif à la santé – le temps de le faire passer en commission et à l’Assemblée. Il y fait notamment voter un amendement qui « restreint aux établissements de santé non commerciaux la possibilité de gérer des centres de santé ». On est encore loin de déplaire aux mutuelles.
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Cherche député pour changer de place
Comment Richard Ferrand a-t-il pu effectuer ces multiples allers-retours entre commissions ? En théorie, les membres des commissions permanentes de l’Assemblée sont désignés au début du quinquennat. Mais grâce à une coutume parlementaire solidement établie, Ferrand a pu jouer aux chaises musicales. Chaque député peut en effet « échanger » sa place en commission avec un autre député qui accepte de faire le remplacement. Ces arrangements entre bons amis sont gérés par le groupe politique auquel appartiennent les intéressés. On peut retrouver leur trace dans les « feuilletons » conservés dans les archives de l’Assemblée.
Ceux-ci montrent un échange récurrent : à chaque fois que Richard Ferrand est passé de la commission de la Défense à celle des Affaires sociales, et vice-versa, il a échangé sa place avec Guy Delcourt, député PS et ancien maire de Lens. Contacté par Marianne, le socialiste affirme ne pas s’être arrangé en particulier avec Richard Ferrand, qu’il connaissait très vaguement. « C’est le groupe socialiste qui, en fonction des besoins, demande à un député qui accepte de se substituer, explique Guy Delcourt. Comme j’étais un député plutôt convivial, le groupe ne s’enquiquinait pas et on me demandait de faire le changement ».
L’ancien maire de Lens ajoute que les nombreux changements ne lui ont posé « aucun problème », car il pouvait continuer de participer aux réunions des deux commissions. En effet, le règlement de l’Assemblée indique qu’en quittant une commission permanente, un parlementaire y perd son droit de vote mais pas le droit d’assister aux réunions de travail. A en croire Guy Delcourt, Richard Ferrand a été à l’initiative complète des changements de commission en s’adressant directement au groupe PS… et a été bien heureux de trouver un député partant pour effectuer l’échange. Le « chef d’œuvre » du Breton reste toutefois la loi Macron, dont il était le rapporteur général au sein d’une commission spéciale : le texte final inclut notamment l’autorisation faite aux mutuelles de déroger au monopole bancaire. De là à y voir un travail de lobbying de la part de Richard Ferrand, toujours affilié aux Mutuelles de Bretagne…