Financement du terrorisme par Lafarge : Laurent Fabius bientôt interrogé ? 3 février
Publié le 02 février 2018
GOUVERNANCE D’ENTREPRISE
Lafarge en Syrie : le rôle de la diplomatie française en question
L’enquête sur Lafarge, soupçonné d’avoir financé l’État islamique pour rester en Syrie, peut-elle impliquer la diplomatie française ? C’est ce qu’affirme un ex-responsable du cimentier. Selon lui l’ambassadeur de France « était au courant du racket ». Lafarge est suspecté d’avoir versé entre 2011 et 2015 plus de 12 millions d’euros à des groupes armés en Syrie, pour continuer à faire tourner sa cimenterie de Jalabiya malgré la guerre.
Que savaient les autorités françaises de l’argent versé par Lafarge à des groupes armés pour continuer à faire tourner son usine syrienne pendant la guerre ? « Ont-elles poussé Lafarge à se maintenir pour préparer l’après-Bachar el-Assad, quitte à mettre en danger les salariés syriens, restés seuls sur le site à partir de 2012 ? Des diplomates étaient-ils au courant de versements délictueux ? Si c’est le cas, ont-ils tardé à tirer la sonnette d’alarme ? », s’interroge une source proche du dossier.
Dans cette affaire hors norme, où pour la première fois de grands patrons français sont soupçonnés d’avoir financé le terrorisme, Lafarge est suspecté d’avoir versé entre 2011 et 2015 plus de 12 millions d’euros à des groupes armés en Syrie, dont l’État islamique (EI), pour continuer à faire tourner, malgré la guerre, sa cimenterie de Jalabiya, située dans le nord du pays.
Les autorités françaises ont-elles demandé à Lafarge de rester ?
Certains responsables du groupe, dont l’ex-directeur général adjoint Christian Herrault, ont reconnu avoir été soumis à « une économie de racket« . Et, pour ce dernier, l’État savait. Il a même poussé l’entreprise à rester.
Lors d’une confrontation organisée le 9 janvier 2018 entre Christian Herrault et l’ex-ambassadeur de France en Syrien, Éric Chevallier, l’ex cadre de Lafarge explique que ce dernier lui aurait dit, lors d’une de leurs rencontres : « vous devriez rester, les troubles ne vont pas durer« .
Des propos démentis par Éric Chevallier. D’autant que, pour l’ex-ambassadeur, le quai d’Orsay avait été clair. Dès 2012, des consignes de quitter la Syrie avaient été émises, pour les particuliers et les entreprises. Sauf qu’ »elles ne s’appliquaient qu’aux collaborateurs français qui ont d’ailleurs été rapatriés. Jamais il n’a été demandé de fermer l’usine. Sinon, cela aurait été fait« , estime Solange Doumic, avocate de Christian Herrault.
Des notes et réunions qui auraient dû alerter le quai d’Orsay
Les juges d’instruction ont récemment concentré leurs investigations sur le volet étatique de l’affaire. Elles ont mis en lumière plusieurs réunions entre Lafarge et l’ambassade. Le directeur de la cimenterie de Jalabiya, Bruno Pescheux, a aussi évoqué « des contacts » avec l’ambassade tandis que le directeur de la sûreté de Lafarge, Jean-Claude Veillard, a assuré avoir fait remonter des informations sur la situation dans la région aux services de renseignement français.
Certains courriers diplomatiques auraient-ils dû alerter au plus haut niveau du Quai ? Une note d’un conseiller datant de septembre 2014 évoque ainsi le « jeu d’équilibriste entre régime de Damas, forces kurdes et Etat islamique » auquel est soumis Lafarge, tout en relevant que le patron de la cimenterie indique « ne rien verser » à l’EI.
« Démontrer une éventuelle implication des autorités françaises est difficile car il n’y a jamais eu de consigne écrite. Mais il faut que Paris assume les positions prises à l’époque« , estime Solange Doumic. La question est également de savoir si Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères était au courant. L’association Sherpa, partie civile dans le dossier a demandé son audition. « On nous dit que Lafarge n’a pas été évoqué avec lui. Il est étonnant qu’il ne se soit pas intéressé à la seule entreprise française dans ce pays stratégique« , relève ainsi l’avocate.
La rédaction avec AFP
« L’un de nous d’eux ment » : quand le directeur de Lafarge et l’ambassadeur de France sont face à face
Que savait la France des activités du fabriquant de ciment en Syrie ? Les services secrets et la diplomatie ont-ils été avertis des pots de vin versés à Daech ? Au début de l’année, l’ancien ambassadeur de France en Syrie et le directeur opérationnel ont été confrontés par la justice. « L’Obs » publie le détail de leur face-à-face chez les magistrats.
Publié le 03 février 2018 à 14h30
Cette confrontation relance le dossier Lafarge et les financements des groupes terroristes en Syrie. Le 9 janvier dernier, chez les juges Eric Chevalier, 57 ans, dernier ambassadeur de France à Damas fait face à Christian Herrault, ancien directeur opérationnel adjoint de Lafarge.
« Vous devriez rester. Les troubles ne vont pas durer », aurait dit le diplomate selon la version de l’homme de la Lafarge.
Ce que le diplomate conteste.
L’histoire aurait-elle pu être changée et le financement de Daech par Lafarge évité si les deux hommes en avaient décidé autrement ? Cette interrogation essentielle arrive en fin de confrontation: »Sans cet aval du Quai d’Orsay seriez vous partis ? », demande le juge.
« Si le Quai d’Orsay nous avait demandé de partir, je pense que Bruno Lafont [alors PDG du groupe] qui était celui qui pouvait en décidé aurait en effet choisi de quitter le territoire syrien », assure Christian Herrault.
Ce vif échange ne restera pas sans suite. Déjà, l’association qui représente d’anciens salariés syriens de l’usine a réclamé l’audition de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères de 2012 à 2016. « L’Obs » revient en détails sur cette confrontation majeure. Notre enquête :
Affaire Lafarge : un directeur accuse Paris d’avoir été « au courant du racket » de Daech
INFO OBS. Une confrontation tendue entre l’ancien ambassadeur de France en Syrie et le directeur opérationnel de Lafarge s’est déroulée chez les juges d’instructions. Que savait la France ? Lafarge a-t-il été incité à rester en Syrie ? Le diplomate et le dirigeant s’accusent mutuellement de mensonges. Révélations.
Publié le 02 février 2018 à 19h32
Ces deux hommes-là avaient jusque-là bien des points en commun. Tous deux se sont frottés aux guerres dans plusieurs points du globe. Tous deux sont de grands voyageurs. Tous deux ont servi l’Etat et se plaisent manifestement à porter haut les couleurs de la France dans le monde. Tous deux, chacun à sa place, ont assisté aux débuts de la guerre civile en Syrie en 2012. Le premier, Eric Chevallier, 57 ans, est diplomate de haut rang, dernier ambassadeur de France à Damas avant de devoir fermer la représentation diplomatique en 2012 pour raisons de sécurité.
Le second, Christian Herrault, polytechnicien et ingénieur des mines, passé par des cabinets ministériels, est ancien directeur opérationnel adjoint de Lafarge, superviseur de plusieurs pays sensibles, dont l’Irak ou la Syrie. Aujourd’hui retraité, il est l’un des six directeurs de Lafarge que la justice française a mis en examen pour financement d’une organisation terroriste et mis en danger de la vie d’autrui. Il est l’un de ceux à avoir admis durant l’enquête que le cimentier, succombant à « une économie du racket », avait, entre 2013 et 2014, versé 12 millions d’euros, à des mouvements proches de l’Etat islamique. Les coupables pots-de-vins ont été versés pour que, malgré la guerre, l’usine de Jalabiya continue à tourner.
Lafarge en Syrie : un nettoyage de preuves « à la Javel » ?
Une ONG accuse le cimentier d’entrave à la justice dans l’enquête sur le financement de groupes djihadistes en Syrie.
Par L’Obs
Publié le 13 décembre 2017 à 07h39
L’ONG Sherpa, partie civile dans l’enquête pour financement du terrorisme qui vise Lafarge, accuse le cimentier de ne pas collaborer avec les enquêteurs. Elle a fait savoir, mardi 12 décembre, qu’elle demandait au parquet de diligenter une enquête « pour entrave à l’exercice de la justice », a indiqué mardi l’association.
Lafarge, mis en cause pour avoir transmis de l’argent et acheté du pétrole à des groupes djihadistes, dont l’Etat islamique (EI), pour continuer à faire tourner sa cimenterie en Syrie, « ment quand il affirme pleinement collaborer avec les enquêteurs », a dénoncé lors d’une conférence de presse Marie Dosé, avocate de l’ONG qui représente onze anciens employés syriens de l’usine.
Selon elle « les ordinateurs ont été passés à l’eau de Javel pour empêcher la justice de travailler » avant la perquisition menée au siège du groupe à Paris, les 14 et 15 novembre.
Lafarge dément
Les juges d’instruction, qui pilotent cette enquête depuis juin, semblent dresser le même constat : « Des éléments essentiels ne se trouvaient plus au siège lorsque la perquisition a été effectuée », ont-ils récemment relevé, d’après une source proche du dossier citée par l’AFP.
Et d’ajouter :
« L’intégralité de la comptabilité susceptible d’impliquer la personne morale n’a pas été davantage transmise. »
Par ailleurs, deux mis en examen ont fait état de « propositions d’accord du groupe pour soit acheter leur silence, soit devancer les interrogations qui pourraient leur être soumises », selon Sherpa, qui y voit une « entrave à l’exercice de la justice ».
Le cimentier dément et affirme que « des milliers de pièces ont été remises aux juges par le groupe ou saisies à l’occasion de la perquisition ».
« Complicité » des autorités
L’avocat William Bourdon, président de l’ONG, s’interroge quant à lui sur la « frilosité, la complaisance, voire la complicité » des autorités françaises.
Des cadres et responsables du cimentier français, qui a fusionné avec le Suisse Holcim en 2015, ont relaté aux enquêteurs que la décision de se maintenir en Syrie avait reçu l’aval du Quai d’Orsay. Entendu par les enquêteurs, Eric Chevallier, ex-ambassadeur de France pour la Syrie, a démenti. « Il y en a manifestement un de nous deux qui ment », a rétorqué Christian Herrault, ex-directeur général adjoint du cimentier.
Par ailleurs, dès septembre 2014, peu de temps avant que l’EI prenne le contrôle du site, plusieurs télégrammes diplomatiques à destination de la direction générale du Trésor faisaient état de la situation de Lafarge en Syrie. Or « il a fallu attendre un article dans « le Monde » près de deux ans plus tard pour qu’une enquête soit ouverte », a déploré Marie Dosé. Elle ajoute :
« Qui nous dit qu’entre-temps, une partie de l’argent versé à l’EI n’a pas servi à financer un attentat en France ? »
Plus de 500.000 dollars versés à l’Etat islamique
Six cadres et responsables du cimentier ont été mis en examen en décembre pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « financement d’une entreprise terroriste », dont l’ex-PDG de Lafarge, Bruno Lafont, et l’ex-directeur général de LafargeHolcim, Eric Olsen. Une première pour de grands patrons en France.
De juillet 2012 à septembre 2014, la filiale syrienne de Lafarge a versé environ 5,6 millions de dollars à diverses factions armées via l’intermédiaire Firas Tlass, dont plus de 500.000 dollars à l’organisation Etat islamique.
Au total, 12,946 millions de dollars auraient été versés entre 2011 et 2015 par Lafarge à l’ensemble des factions armées (taxes pour assurer le passage des employés, achat de matières premières dont du pétrole…), d’après un rapport du cabinet d’expertise comptable PricewaterhouseCoopers (PWC), également missionné en interne et dont l’AFP a eu connaissance.
A.R. (avec AFP)
Lafarge a versé plus de 500.000 dollars à Daech
Selon « le Canard enchaîné », le groupe a versé au total 5,56 millions de dollars à des groupes armés en Syrie.
Par L’Obs
Publié le 21 novembre 2017 à 19h50
C’est un chiffre qui donne le tournis. La filiale syrienne du cimentier Lafarge a versé plus de 500.000 dollars au groupe Etat islamique entre juillet 2012 et septembre 2014, selon « le Canard enchaîné » qui cite un rapport rédigé à la demande du groupe par le cabinet américain Baker McKenzie en avril 2017.
En tout, le groupe a versé 5,56 millions de dollars « au titre de ‘dons’ à de nombreuses factions armées locales en Syrie, y compris l’EI », indique l’hebdomadaire. Précisément, le montant des paiements destinés à l’EI s’élève à « au moins 509.694 dollars ».
Une enquête est menée depuis juin par trois juges d’instruction des pôles financier et antiterroriste de Paris, qui cherchent à déterminer si le géant du ciment a transmis ou non de l’argent à certains groupes. La question est aussi de savoir si les responsables de l’entreprise en France, qui a fusionné en 2015 avec le Suisse Holcim, ont eu connaissance de tels accords et du danger qu’ils ont pu faire courir aux employés syriens sur place.
Qui savait ?
Le rapport révèle également qu’une « grande partie de la direction du groupe connaissait la situation », assure « le Canard ». L’hebdomadaire évoque notamment un courriel adressé en septembre par le patron de la sécurité à la directrice juridique, qui « semble découvrir les relations de la boîte avec Daech ». Il écrit :
« Je lui ai quand même fait remarquer qu’elle faisait partie du comité de sûreté et que je parl[ais] de ces sujets depuis presque trois ans maintenant. »
Le scandale avait été révélé en juin 2016 par « le Monde » : dans son enquête, le quotidien avait mis en lumière de « troubles arrangements » entre Lafarge Cement Syrie, la branche syrienne du groupe, et l’organisation Etat islamique qui gagnait alors du terrain et devenait incontournable dans la région. Deux mois plus tard, le ministère français de l’Economie avait porté plainte, déclenchant l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris, confiée au Service national de douane judiciaire.
Dans son rapport, dont l’AFP a eu connaissance, le SNDJ conclut que LCS a « effectué des paiements aux groupes djihadistes » pour que la cimenterie continue à fonctionner.
Une perquisition a eu lieu le 14 novembre dernier au siège de GBL (Groupe Bruxelles Lambert), la holding du milliardaire belge Albert Frère qui détient 9,4% du capital de LafargeHolcim.
A.R. (avec AFP)
Lafarge en Syrie : le cimentier aurait bien versé plus de 20.000 euros par mois à Daech
Face aux enquêteurs, l’ex-directeur général adjoint opérationnel de Lafarge, Christian Herrault, a reconnu que le groupe s’est plié à une « économie de racket ».
Par L’Obs
Publié le 21 septembre 2017 à 06h36
L’enquête sur l’activité de Lafarge en Syrie pourrait être accablante pour le cimentier : trois ex-salariés syriens ont été entendus et un rapport des douanes conclut que la direction en France a validé « des paiements aux groupes djihadistes » pour continuer à travailler dans le pays en guerre.
Les juges d’instruction chargés de cette affaire très sensible tentent de déterminer les liens qu’a pu entretenir le géant du ciment notamment avec l’organisation Etat islamique (EI), pour faire fonctionner en 2013 et 2014, malgré le conflit, la cimenterie de Jalabiya (nord du pays).
L’enquête porte aussi sur la connaissance qu’auraient eu des responsables du groupe en France de ces agissements et du danger qu’ils ont pu faire courir aux employés sur place.
Un informaticien, un ingénieur et un employé chargé des emballages, venus de Syrie pour répondre à la convocation des magistrats, ont été entendus cette semaine, a appris l’AFP de source proche de l’enquête. « Ils ont confirmé le caractère accablant des éléments qui pourraient être retenus contre Lafarge », a indiqué à l’AFP leur avocate Marie Dosé.
Il s’agit des premières auditions par les magistrats dans cette enquête pour « financement d’entreprise terroriste » et « mise en danger de la vie d’autrui », qui leur a été confiée en juin.
Le scandale avait été révélé un an plus tôt par une enquête du « Monde » qui avait mis en lumière de « troubles arrangements » entre Lafarge Cement Syrie (LCS), branche syrienne du groupe, et l’EI alors que le groupe djihadiste gagnait du terrain et devenait incontournable dans la région.
En septembre 2016, le ministère de l’Economie avait déposé plainte, déclenchant l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris, confiée au Service national de douane judiciaire (SNDJ).
30.000 dollars par mois
Dans son rapport, dont l’AFP a eu connaissance, le SNDJ conclut que LCS a « effectué des paiements aux groupes djihadistes » via un intermédiaire pour que la cimenterie continue à fonctionner.
La conclusion des douanes est surtout accablante pour la direction française du groupe Lafarge, qui a fusionné en 2015 avec le suisse Holcim. Celle-ci « a validé ces remises de fonds en produisant de fausses pièces comptables », affirme le SNDJ dans ce document, également révélé par « le Canard enchaîné » et « le Monde ».
Et, si seules trois personnes ont avoué avoir eu connaissance de ces pratiques, « il est tout à fait vraisemblable que d’autres protagonistes aient couvert ces agissements », dont l’ex-PDG de Lafarge Bruno Lafont, ajoutent les douanes judiciaires qui ont entendu neuf responsables du cimentier et de sa filiale syrienne.
Face aux enquêteurs, l’ex-directeur général adjoint opérationnel de Lafarge, Christian Herrault, a reconnu que le groupe s’est plié à une « économie de racket », menée par différentes milices armées, pour assurer la circulation de ses marchandises dans le pays.
« Cela représentait 5 millions de livres syriennes par mois pour Daech (acronyme arabe de l’EI), environ 30.000 dollars (plus de 20.000 euros) », a-t-il indiqué, précisant que « l’argent était prélevé directement dans le cash de l’usine » et versé à un intermédiaire.
Lafarge est aussi soupçonné d’avoir acheté du pétrole à des groupes djihadistes, là encore pour que ces derniers lui permettent de poursuivre son activité.
LCS en a acheté « en toute illégalité » à des groupes « islamistes, kurdes ou autres », a raconté Frédéric Jolibois, directeur général de LCS à partir de l’été 2014.
Rôle de l’Etat ?
L’enquête suggère aussi que la décision du cimentier de rester en Syrie a reçu l’aval des autorités françaises. « Le gouvernement n’a jamais incité Lafarge à partir de Syrie », a souligné M. Herrault, tandis que M. Jolibois a relevé avoir été « régulièrement en contact avec le Quai d’Orsay et la DGSE ».
« La seule gestion de Lafarge était une gestion financière en dehors de tout critère humanitaire: le groupe n’a pas hésité à mettre en danger l’intégrité physique de ses salariés et à les exposer au pire », a déploré Me Dosé.
L’EI avait fini par prendre le contrôle du site en septembre 2014. Ce jour-là, d’après « le Monde », la direction n’a pas prévenu les employés de l’imminence d’un raid, et ils avaient dû se sauver par leurs propres moyens.
Sollicité, LafargeHolcim n’était pas disponible dans l’immédiat.
(Avec AFP)
Financement de Daech en Syrie : ce que l’on reproche à Lafarge
Une information judiciaire a été ouverte et vise notamment les chefs de financement d’entreprise terroriste » et de « mise en danger de la vie d’autrui ». L’enquête a été confiée à trois juges d’instruction.
Par L’Obs
Publié le 13 juin 2017 à 10h13
L’enquête sur le cimentier franco-suisse LafargeHolcim, mis en cause pour avoir indirectement financé des groupes armés en Syrie, a été confiée à trois juges d’instruction, a-t-on appris ce mardi 13 juin auprès du parquet de Paris.
Cette information judiciaire, ouverte le 9 juin, vise notamment les chefs de « financement d’entreprise terroriste » et de « mise en danger de la vie d’autrui », a précisé le parquet. Elle a été confiée à deux juges d’instruction du pôle financier et à un magistrat instructeur du pôle antiterroriste.
# Des liens supposés avec plusieurs groupes armés
L’enquête, également révélée par France-Inter, devra déterminer les liens qu’a pu entretenir le géant du ciment avec plusieurs groupes en Syrie, dont l’organisation djihadiste Etat islamique (EI), pour continuer à faire fonctionner la cimenterie de Jalabiya, dans le nord du pays, malgré la guerre civile. L’EI s’était finalement emparé du site en septembre 2014.
LafargeHolcim fait l’objet de plusieurs plaintes déposées à l’automne par le ministère français de l’Economie, mais aussi par des ONG comme Sherpa qui s’était appuyée sur des témoignages d’anciens employés de l’usine.
Dans une enquête de juin 2016, « le Monde » avait mis en lumière ces témoignages pour révéler de « troubles arrangements », alors que l’EI gagnait du terrain et devenait incontournable dans la zone.
Le journal avait pu consulter des mails envoyés par la direction de Lafarge en Syrie relatant les arrangements de l’entreprise avec le groupe djihadiste pour pouvoir poursuivre la production de son usine. « Le Monde » avait également pu constater que des laissez-passer « estampillés du tampon de l’EI » avaient été délivrés à l’entreprise française. Des preuves accablantes pour Lafarge.
# Aveux et crise à Lafarge
Lafarge, qui a fusionné en 2015 avec le groupe suisse Holcim, a admis début mars avoir « indirectement » financé en 2013 et 2014 des groupes armés en Syrie pour maintenir en activité sa cimenterie.
Entre les « menaces pour la sécurité des collaborateurs » et les « perturbations dans les approvisionnements nécessaires pour faire fonctionner l’usine et distribuer ses produits », la filiale locale de Lafarge a tenté d’amadouer les diverses « factions armées » qui contrôlaient ou tentaient de contrôler les zones autour de la cimenterie, a reconnu le groupe.
Eric Olsen, le patron du cimentier suisse LafargeHolcim, a annoncé en avril qu’il allait quitter ses fonctions en juillet pour tenter de désamorcer le dossier syrien.
(Avec AFP)
Quand Lafarge travaillait avec l’Etat islamique en Syrie
« Le Monde » révèle que le cimentier français Lafarge a payé des taxes à l’organisation Etat Islamique.
Par L’Obs
Publié le 21 juin 2016 à 13h42
Le géant français des matériaux de construction Lafarge a payé des taxes à l’organisation Etat Islamique entre 2013 et 2014, via sa cimenterie implantée à Jalabiya, dans le nord de la Syrie. La raison ? Financière. Le groupe ne voulait pas prendre le risque que son chiffre d’affaires souffre de la guerre.
C’est une enquête menée par le journal « Le Monde » et publiée ce mardi 21 juin qui a permis de révéler cette coopération entre l’entreprise française – numéro un mondial du ciment depuis sa fusion avec la multinationale suisse Holcim – et le groupe Etat Islamique.
Comme le rappelle le journal du soir, la cimenterie de l’entreprise Lafarge implantée dans le nord-est de la Syrie et inaugurée en 2010 était « le fleuron » du groupe au Proche-Orient.
Une renommée qui aurait conduit la direction de l’usine à accepter l’inacceptable pour repousser l’échec, inévitable dans cet environnement « dangereux et instable ».
Négociations avec l’EI
La guerre civile, qui a débuté en 2011, a fini par dégrader la situation de l’usine Lafarge en Syrie. Et en 2013, la production ralentit fortement, affirme un ancien employé au « Monde ».
Dans le même temps, le groupe Etat Islamique gagne du terrain au niveau des villes et des routes autour de l’usine. Pour pouvoir continuer à fonctionner, la cimenterie est alors contrainte de « négocier » avec l’EI.
Le journal a pu consulter des mails envoyés par la direction de Lafarge en Syrie relatant les arrangements de l’entreprise avec le groupe djihadiste pour pouvoir poursuivre la production. « Le Monde » a également pu constater que des laissez-passer « estampillés du tampon de l’EI » avaient été délivrés à l’entreprise française. Des preuves accablantes pour Lafarge.
Plusieurs contacts avec Daech
En juin 2013, Rakka – située à moins de 90 kilomètres de l’usine – tombe sous le contrôle de l’EI. En 2014, Manbij – ville qui accueille la plupart des employés de l’entreprise française – subit le même sort. Pour garantir la circulation de ses ouvriers et de ses marchandises, Lafarge envoie un dénommé Ahmad Jal oudi obtenir des « autorisations de l’EI de laisser passer les employés aux checkpoints ».
Ahmad Jaloudi, pourtant absent de l’organigramme de Lafarge Syrie, est le « gestionnaire de risques » de l’entreprise et il se déplace beaucoup entre la Turquie, Razza, Manbij et l’usine, explique « Le Monde » à qui un ancien employé s’est confié.
Le 28 août 2014, le « gestionnaire de risques » envoie un mail à Frédéric Jolibois, PDG de la filiale de Lafarge en Syrie depuis juin 2014, pour lui faire part de ses difficultés. « Le Monde » rapporte le message :
« L’Etat islamique demande une liste de nos employés… j’ai essayé d’obtenir une autorisation pour quelques jours mais ils ont refusé »
Il est ensuite question d’organiser une « conférence téléphonique » en urgence avec « Frédéric [Jolibois, basé à Amman], Mamdouh [Al-Khaled, directeur de l’usine, basé à Damas], Hassan [As-Saleh, représentant de Mamdouh Al Khaled dans l’usine] » et Ahmad Jaloudi.
La direction à Paris était au courant
Le PDG de la filiale de Lafarge en Syrie répond au mail qui lui a été adressé le lendemain et « ajoute en copie Jean-Claude Veillard, directeur sûreté du groupe Lafarge à Paris », raconte « Le Monde ». Preuve que la direction parisienne de Lafarge était au courant de ces tentatives de négociations avec le groupe Etat Islamique.
Autre preuve, s’il en faut plus, Jean-Claude Veillard échangeait quotidiennement sur des questions de sécurité depuis Paris avec l’usine en Syrie.
La liste de contacts avérés ou de tentatives de contacts entre Lafarge et l’EI est longue. « Le Monde » mentionne notamment une tentative de rencontre avec le « haut responsable de l’EI ».
Ahmad Jaloudi avait écrit à Mazen Shiekh Awad, directeur des ressources humaines à Lafarge Syrie, tout en mettant en copie Bruno Pescheux, PDG de Lafarge Syrie, pour leur dire que la rencontre avec le « haut responsable de l’EI » aura lieu :
« Je le verrai dès son retour. Notre client [il ne précise pas lequel] à Rakka m’a organisé un rendez-vous avec lui. »
Un an de coopération
Outre les taxes de circulation et les tentatives de contacts, les dirigeants auraient aussi accepté de se « fournir auprès des négociants en pétrole, dont les champs étaient tenus par le groupe EI », révèle encore « Le Monde ».
Cette « coopération » aurait duré jusqu’au 19 septembre 2014, date à laquelle l’EI s’est tout simplement emparé du site. Forçant ainsi Lafarge à fermer boutique.
« Pendant un peu plus d’un an, Lafarge a ainsi indirectement financé l’organisation djihadiste », conclu le journal.
L’usine est devenue une base occidentale
L’enquête du « Monde » affirme cependant que :
« A deux reprises, un intermédiaire a proposé au groupe français de relancer la cimenterie sous la protection de l’EI et en échange d’un partage des bénéfices. Sans succès ».
La guerre se faisant, l’ancienne cimenterie est aujourd’hui devenue une base pour les forces spéciales occidentales, « qui soutiennent discrètement les forces kurdo-arabes dans leur offensive en cours contre les djihadistes à Manbij et Rakka », souligne le journal.
B.K.