A Angarsk en Sibérie comme à Brest au bout du monde, les autorités laissent faire le tueur en série 16 décembre
Il faut bien dire que par ici, le tueur et ses protecteurs partagent tous la même double haine des femmes et des ingénieurs.
« Ma femme et ma fille me considéraient comme un bon mari et un bon père »… Mikhaïl Popkov, tueur en série sanguinaire la nuit, papa modèle le jour
Pendant près de vingt ans, ce tueur en série a terrorisé la ville d’Angarsk, en Sibérie, en tuant des dizaines de femmes. Lundi, il a été condamné à sa deuxième peine à perpétuité. Voici le récit du parcours macabre de Mikhaïl Popkov, surnommé « le maniaque d’Angarsk ».
Dans le sud de la Sibérie (Russie), à quelques pas de la frontière avec la Mongolie, se dresse Angarsk. A plus de 5 000 km de Moscou, rien ne destinait cette ville industrielle, née, comme beaucoup d’autres en Russie, après la Seconde Guerre mondiale, à faire la une de l’actualité.
Pourtant, c’est là, dans ces rues balayées par le vent glacial, entre les barres d’immeubles, qu’a sévi Mikhaïl Popkov. Ce tueur en série, qui purge une peine de réclusion à perpétuité depuis 2015 pour le meurtre de 22 femmes entre 1992 et 2010, a été reconnu coupable, lundi 10 décembre, de 56 nouveaux meurtres, et condamné à une seconde peine de prison à vie. Il a aussi été reconnu coupable d’avoir violé onze de ses victimes.
Comment ce père de famille, ancien policier, a-t-il pu terroriser une ville de 250 000 habitants, massacrer des dizaines de femmes âgées de 16 à 40 ans et échapper aux autorités pendant près de deux décennies pour devenir le pire tueur en série de l’histoire récente de la Russie ?
« Une haine des femmes »
« On est loin de la Sibérie de carte postale. » Dominique Derda, correspondant pour France 2 et France 3 à Moscou, n’a pas d’étoiles dans les yeux quand il évoque Angarsk, ville spécialisée dans la pétrochimie et l’uranium. Construite par des prisonniers et entourée d’établissements pénitentiaires, la cité a coutume d’accueillir les détenus qui sont libérés. Certains y restent et alimentent la guerre des gangs qui fait rage. « En ce temps-là, question cadavres, on ne savait plus où donner de la tête », assure au Parisien Andreï Chestopalov, alors chef de la brigade criminelle. Alors quand une première femme est retrouvée, massacrée, dans une forêt des alentours au mois d’octobre 1992, personne ne se doute que ce corps est le premier d’une longue et sordide série.
A l’époque, Mikhaïl Popkov officie au bas de l’échelle de la police locale, alors qu’il « aurait pu aspirer à un grade beaucoup plus élevé que celui qu’il occupait », selon Dimitri Khmilovsky, son ancien collègue interrogé par Le Parisien. Même s’il est né dans le nord de la Sibérie, à Norilsk, il connaît Angarsk comme sa poche. Dans une interview au site d’information Meduza (en russe) en 2017, Yevgeny Karchevsky, chargé de l’enquête à partir de 2014, revient sur l’enfance de Mikhaïl Popkov. Celui-ci a d’abord été élevé par ses grands-parents, ses parents étant partis travailler à Angarsk. Vers l’âge de 5 ans, il rejoint son père, sa mère et sa sœur cadette. « Il a grandi sans amour maternel », affirme le policier, qui l’a interrogé à plusieurs reprises. Il brosse le portrait d’un jeune homme intransigeant, qui ne supporte pas que sa sœur sorte le soir. Interviewé par la journaliste russe Sasha Sulim pour Meduza en décembre 2017, Mikhaïl Popkov décrit, lui, une atmosphère « normale » dans une famille « ordinaire ».
Des années plus tard, lorsque les premiers cadavres sont découverts, ce père d’une fille, adepte du biathlon, semble au-dessus de tout soupçon. « Popkov n’était pas très sociable, mais sa famille semblait parfaite : il faisait de la randonnée, du vélo avec sa femme. Il aimait organiser des repas dans la cour de l’immeuble », se souvient un ancien voisin.
Mais la réalité est plus sombre. Mikhaïl Popkov soupçonne sa femme, Elena Popkova, de le tromper. Cela a « agi comme un déclic », avance Sasha Sulim, interrogée par franceinfo. « Il a développé une haine des femmes », explique le policier Nikolaï Kitaev dans Le Parisien.
A l’automne 1998, Nikolaï Kitaev, adjoint du procureur général d’Irkoutsk, ville importante de Sibérie orientale, est envoyé à Angarsk et reprend une enquête qui piétine depuis six ans. « J’ai très vite compris que l’enquête avait été complètement bâclée, s’agace-t-il dans Le Parisien, vingt ans après. Tout avait été fait superficiellement. Nombre d’indices avaient été négligés et perdus. Des examens de base même pas effectués. »
Nikolaï Kitaev est le premier à saisir que la région a peut-être affaire à un tueur en série. Le mode opératoire le met sur la piste d’un homme seul, qui connaît bien le secteur et sa vie nocturne, et qui dispose d’une voiture. Car chaque nouveau crime ressemble au précédent : « L’heure de la mort, le type d’endroit où elle a eu lieu, les zones du corps touchées par les coups ainsi que la nature des armes utilisées, couteau, hache, marteau ou tournevis », détaille-t-il dans le quotidien.
« J’ai compris qu’il voulait me tuer »
Mikhaïl Popkov agit toujours de la même façon. Le soir, au volant de sa voiture de police, il propose à des femmes, de préférence seules et alcoolisées, de les raccompagner. Son insigne endort leur méfiance. « Il était très souriant, plutôt attirant, reconnaît Sasha Sulim. Les femmes se sentaient en confiance au moment de monter dans son véhicule. » Dans sa Lada Niva, il entame la discussion et, en fonction des réponses, décide du sort de sa passagère. Ainsi, toutes celles qui sont montées dans sa voiture n’ont pas perdu la vie.
Si elle était gentille, cela se passait bien. Si elle l’énervait, cela se passait mal…Sasha Sulim, journaliste russeà franceinfo
Dans sa longue interview pour Meduza, Mikhaïl Popkov explique que la jeune femme « devait se comporter de telle manière qu’elle se moque complètement de l’endroit où nous allions. Si elle ne me provoquait pas, qu’il n’y avait pas de préjugés de sa part ou d’attitude négative, je la ramenais chez elle et je lui demandais son numéro de téléphone si nous avions sympathisé. » En revanche, pour les autres, la balade se termine dans un déferlement de violence. Avec les armes dérobées dans les scellés de la police, il massacre ses victimes, à tel point que certaines obsèques doivent se dérouler cercueil fermé. Les corps sont abandonnés, le plus souvent, le long de l’autoroute M53 qui relie Irkoutsk à Novossibirsk.
Evguenia Protasova a failli connaître le même sort. En juillet 1999, la jeune fille de 18 ans vient de se disputer avec son compagnon quand elle est prise en stop par Mikhaïl Popkov. Rassurée au début par l’insigne de police, la peur la gagne lorsqu’elle remarque que la voiture n’emprunte pas la route de son domicile. « J’ai compris qu’il voulait me tuer. Ensuite, je ne me souviens de rien. Je me suis réveillée longtemps après, dans une forêt », relate-t-elle dans le quotidien Komsomolskaïa Pravda (en russe). Après avoir subi de lourdes opérations, elle souffre encore aujourd’hui de séquelles physiques et psychologiques.
« La police ne voulait pas croire à un tueur en série »
A chaque meurtre, la confiance de Mikhaïl Popkov grandit. Son sentiment d’impunité aussi. Les trois années entre 1997 et 1999 sont particulièrement sanglantes – il assassine parfois ses victimes deux par deux. Dans son interview à Meduza, l’enquêteur Yevgeny Karchevsky parle d’un « désir irrésistible de commettre un meurtre ». Selon lui, Mikhaïl Popkov aime tuer. Mais il balaie la thèse selon laquelle le meurtrier souhaitait « purifier » la ville d’Angarsk en faisant disparaître les femmes dont il désapprouvait le comportement. « Seulement 5% des victimes présentaient des profils marginaux, toxicomanes ou prostituées. Les autres étaient des épouses, des filles, des mères de famille. »
Décrit comme quelqu’un de méticuleux par ses anciens collègues, Popkov revient parfois sur le lieu de ses crimes pour couvrir ses traces. Son poste au sein de la police lui offre cette possibilité sans créer la suspicion. En 2000, il retourne là où il a laissé les corps de Maria Lizhina, 35 ans, et Liliya Pashkovskaya, 37 ans, pour retrouver son insigne oublié sur place, raconte The Independent (en anglais).
J’ai vu qu’une des femmes respirait encore. J’ai été choqué qu’elle soit toujours en vie. Je l’ai achevée avec une pelle. Mikhaïl Popkovselon une déposition relayée par « The Independent »
Face à Sasha Sulim, venue l’interviewer en prison, il nuance ce tableau. « Quand j’entends dire que je travaillais dans la police et que je savais donc comment couvrir mes traces, cela me fait rire. Je suis un mécanicien de formation, un simple agent de police », souffle-t-il.
Pendant toutes ces années, Mikhaïl Popkov profite aussi du climat qui règne en Russie. « A cette époque, tout le pays était gangrené par la violence, rappelle Sasha Sulim. La police ne voulait pas croire à un tueur en série et ne voulait surtout pas attirer l’attention sur l’existence de tels agissements. »
Ainsi, une liste de sept policiers suspects, où ne figure pas Mikhaïl Popkov, est dressée avant l’arrivée du « profiler » Nikolaï Kitaev en 1998. Dans un rapport remis à sa hiérarchie, ce dernier dénonce la légèreté des autorités locales dans cette affaire et critique sa « résistance ouverte ». Un an après son arrivée, Nikolaï Kitaev est brusquement débarqué. Mikhaïl Popkov peut poursuivre son entreprise criminelle.
Viré de la police
Mais, en mars 2002, l’affaire rebondit via un article publié par le quotidien Moskovsky Komsomolets qui attire à nouveau la lumière sur ce dossier. L’enquête est reprise en main par une équipe du « comité d’enquêtes », l’équivalent russe du FBI, en provenance de Moscou. Le colonel Sergueï Derzhavin se heurte lui aussi au manque de coopération des autorités locales. Il arrive toutefois à identifier l’empreinte génétique du tueur grâce aux traces d’ADN récupérées sur le corps de trois victimes.
Mikhaïl Popkov sent-il alors le vent tourner ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, cette année-là, il quitte la police. De plus en plus troublé par le comportement de son agent, Andreï Chestopalov, chef de la brigade criminelle, prend pour prétexte une bavure pour le mettre à pied, relate Le Parisien. « Je ne lui ai pas laissé le choix. C’était la porte ou une enquête disciplinaire, affirme-t-il. Il savait très bien que j’avais des doutes à son encontre. » Sasha Sulim, elle, parle d’une simple démission. L’homme devient alors agent de sécurité pour une entreprise de pétrochimie de la région et semble commettre moins de crimes.
Confondu par l’ADN
La rumeur court alors que le « maniaque d’Angarsk » est mort. L’enquête s’enlise à nouveau, mais un nouvel enquêteur entre en jeu. Artyom Dubynin, qui dirige à partir de 2009 le « comité d’enquêtes », récupère l’affaire et continue le travail de ses prédécesseurs en se basant sur certaines avancées : connaissance du lieu approximatif de résidence, génotype, groupe sanguin positif et véhicule (une Lada Niva). La liste des suspects se réduit. Un premier fichier d’individus correspondant à au moins un des signes est établi. Il comporte 30 000 identités. « Ensuite, ils ont sélectionné ceux qui présentaient deux signes ou plus, explique Artyom Dubynin à Meduza (en russe), nous avions donc environ 600 suspects. »
Cette liste de 600 noms est organisée par ordre alphabétique. Et, à partir de la fin 2010, chaque personne y figurant doit se soumettre à un test ADN. Les convocations pour la lettre P tombent en mars 2012. A la fonctionnaire qui s’apprête à effectuer le prélèvement, Popkov lance : « Et si je refuse ? » « Il faudra me dire pourquoi », rétorque-t-elle. L’homme s’exécute. Deux semaines plus tard, les résultats tombent : l’ADN de Mikhaïl Popkov correspond à 100% à celui du « maniaque d’Angarsk ».
Mais il n’est pas arrêté immédiatement. Car l’homme s’est lancé dans le trafic de voitures depuis son départ de la police. Il se rend régulièrement à Vladivostok, aux confins du pays, pour récupérer des véhicules japonais, qu’il revend. C’est Artyom Dubynin, accompagné de trois hommes, qui finit par l’intercepter peu avant son arrivée en gare de Vladivostok. Le 29 juin 2012, à 15 heures, la traque du tueur en série d’Angarsk prend fin.
Sudoku et interviews payantes
Après son arrestation, Mikhaïl Popkov avoue 22 premiers crimes, pour lesquels il est condamné à la perpétuité en 2015. C’est la fin d’une double vie entre meurtres sauvages et vie de famille rangée. Car lorsqu’il ne cherchait pas de nouvelles victimes, l’homme collectionnait les modèles réduits de voitures avec sa fille, pour qui il était capable de se lever à 3 heures du matin afin d’aller la chercher à la sortie d’une boîte de nuit. « J’avais une famille. Ma femme et ma fille me considéraient comme un bon mari et un bon père, ce qui correspondait à la réalité », s’exclame-t-il face aux enquêteurs. Il explique que c’est pour sa fille qu’il n’a pas tué sa femme, car il ne voulait pas en faire une orpheline.
Quand je me réveillais le matin, je m’assurais que je n’avais pas étranglé ma femme…Mikhaïl Popkovà « Komsomolskaïa Pravda »
Toutes les analyses réalisées par différents spécialistes révèlent que Mikhaïl Popkov ne souffre pas de « trouble mental, démence ou autre état d’esprit douloureux ».
« Il ne regrette rien, assure Sasha Sulim, il a parfaitement conscience de ce qu’il a fait et accepte d’être condamné. Il espère même être libéré. » Avant cette deuxième condamnation à la perpétuité, Mikhaïl Popkov se prêtait volontiers au jeu des reconstitutions, lisait et monnayait ses interviews. Ainsi, en décembre 2017, Sasha Sulim a dû débourser 5 000 roubles (environ 70 euros) et lui offrir des grilles de sudoku pour pouvoir l’approcher. La fin de son deuxième procès ne clôt pourtant pas le dossier, car la liste des victimes pourrait bien s’allonger. En effet, les autorités russes pensent que d’autres corps restent à découvrir, pas à Angarsk, mais sur la route qui mène à Vladivostok.