Rappelons donc qu’avant Twitter, il y avait déjà les sites d’information participatifs Rue89 et Le Post, mais surtout le premier, qui n’a jamais pris les mesures adéquates pour faire cesser les harcèlements en bande organisée du malade mental Pascal Edouard Cyprien Luraghi et de sa troupe de « déconnologues », en réalité une bande de pirates informatiques violant l’intimité de la vie privée de leurs cibles pour pouvoir ensuite indéfiniment les harceler avec des éléments d’information ainsi illégalement recueillis, qu’ils mêlent très habilement à des montagnes de calomnies, injures et menaces en tous genres, avant de poursuivre ces harcèlements par des dénonciations calomnieuses et tentatives d’escroquerie au jugement de très grande ampleur dès la première tentative de se défendre d’une des victimes.
Je publie beaucoup à ce sujet depuis les révélations du mois dernier, et c’est bien normal, puisque depuis mes tout premiers commentaires anonymes sur le site Rue89 en 2008, j’ai toujours été victime de ces criminels ayant toujours bénéficié de la complicité des journalistes aujourd’hui mis en cause.
Ne faites pas comme Vincent Glad ! » Cette phrase, qui résonne encore en nous, a été glanée aux alentours de novembre 2010, en cours de journalisme web dispensé à l’Institut de journalisme Bordeaux-Aquitaine (IJBA). « Dans mes cours, je me servais de lui comme d’une tête de Turc car, à l’époque, je m’étonnais des dérives de ce qu’on pouvait appeler le journalisme LOL et de l’aptitude de certains à blaguer de tout sur Twitter », réagit aujourd’hui Jean-Charles Bouniol, responsable de cette unité de l’école bordelaise.
Le journalisme web et les comportements sur les réseaux sociaux durant les premières années de la décennie 2010 sont particulièrement scrutés à la lumière des révélations d’agissements sordides (harcèlement, insultes, etc.) commis par certains membres de la Ligue du LOL (1), ce groupe Facebook ayant réuni d’influents jeunes journalistes et communicants parisiens à partir de 2009. Les témoignages de leurs victimes, comme les excuses successives des harceleurs, ont presque tous mis en avant le contexte de l’époque, propice aux moqueries, à un certain cynisme sur les réseaux sociaux balbutiants comme Twitter, où rien n’était pris au sérieux. Mais quel était ce fameux terreau mis en avant pour expliquer ces agissements injustifiables ?
Une espèce naissante
Fin des années 2000. L’ambiance est au choc des cultures : d’un côté, la presse papier est déjà en crise. De l’autre, les sites Internet (lancés par les journaux et magazines à la fin du siècle précédent, ou par des médias en ligne, plus neufs, innovants mais économiquement instables, comme Rue89, LePost.fr, Owni, Quoi.info, Newsring…) gagnent en audience. Conjointement les réseaux sociaux, eux aussi, sont en plein boom. Facebook se développe en France à partir de 2007, Twitter voit ses premiers gazouillis francophones envoyés l’année suivante. Sur ce réseau de « microblogging » – selon le terme de l’époque –, quelques aficionados des nouvelles technos et des blogueurs confirmés côtoient des journalistes, souvent jeunes, qui y décèlent un intérêt professionnel. Ils y découvrent une grammaire bizarre, voire répulsive, pour le grand public (140 signes composés de RT, @ et #), une interface sommaire très éloignée des fonctionnalités actuelles (voire de Facebook au même moment), un univers plutôt masculin, une tendance à l’entre-soi (comme le montre cette infographie datée de 2011)… L’élection présidentielle française de 2007, l’élection américaine l’année suivante, le crash de l’avion sur l’Hudson en 2009, les premiers fact checkings politiques en France, le printemps arabe en 2010… autant d’événements suivis grâce à Twitter et Facebook, qui donnent l’impression que l’actualité s’accélère et se déporte sur le Web.
Mais, derrière les écrans des rédactions, des journalistes, jeunes, mal rémunérés et peu considérés paient les pots cassés d’un métier qui se cherche, avec ses formats encore en friche : écriture en direct, vidéos, datajournalisme, etc. « La forme était malléable, les façons de faire nouvelles, rédhibitoires pour certains, mais elles suivaient l’évolution d’un métier qui a toujours été technique », raconte Philippe Couve, créateur de l’Atelier des médias sur RFI. « On percevait une utopie dans le journalisme web », explique Samuel Laurent, salarié du site du Figaro à l’époque et aujourd’hui responsable des Décodeurs au Monde. « En pleine sinistrose à propos de l’avenir du papier, on sentait que quelque chose allait se passer », note Pierre Savary, directeur de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille dont il a dirigé les études dès 2008.
“On ne nous considérait plus comme des réparateurs d’imprimante, mais comme des journalistes qui pouvaient être utiles”
Dans les écoles, c’est aussi le Far West : « Il y avait des écarts de compétences inédits entre étudiants classiques et d’autres, au profil plus geeks, qui maîtrisaient les outils et ce langage », se souvient encore Pierre Savary. Dans l’école lilloise, on regroupe, « durant deux ou trois promos », les élèves par niveau de compétences 2.0. Au programme, recommandations d’usage (« comment se servir de Twitter comme outil journalistique ») ou introduction au LOL journalisme (comme on peut le lire sur ce tweet de Christophe Carron, membre de la Ligue du LOL et futur rédacteur en chef de Slate, à destination de Vincent Glad, formateur à l’ESJ, et retweeté, fait remarquable, par… l’étudiant d’alors Hugo Clément). Mais l’enseignement était encore très sommaire, et donnait surtout l’impression d’être réalisé avec les moyens du bord. « La responsabilisation des étudiants sur les réseaux sociaux était prioritaire et l’est toujours, explique Jean-Charles Bouniol, enseignant à Bordeaux. Mais c’étaient des considérations que j’exprimais en cours, elles ne faisaient pas nécessairement partie des sujets discutés en réunion pédagogique. »
Dans les rédactions, on commence doucement à ne plus considérer ces geeks remisés dans un coin « comme des réparateurs d’imprimante, mais comme des journalistes qui peuvent être utiles », dit Alice Antheaume, passée par les sites de Télérama, 20 Minutes et aujourd’hui directrice exécutive de l’Ecole de journalisme de Sciences Po Paris. Entre-temps, en 2009, un article du Monde, « Les forçats de l’info », a fait l’effet d’une bombe : les sites d’information sont animés par des « journalistes “low cost” », des « Pakistanais du Web » ou encore des « esclaves consentants », écrit Xavier Ternisien – qui a par ailleurs refusé de répondre à nos questions. « J’étais comme un fou quand j’ai lu ça », fulmine encore Eric Mettout, directeur adjoint de la rédaction de L’Express, rattaché à son site depuis 2000. « Ce papier a au moins permis de mettre le doigt sur le fait que tous les journalistes web connaissaient les mêmes problèmes : précarité, manque de considération de leurs pairs… Ça nous a fédérés », mesure Samuel Laurent. « Cela a jeté une forme de désolation parmi nous. Alors, nous nous sommes rencontrés, avons commencé à échanger, à nous organiser pour valoriser nos métiers », raconte la journaliste Mélissa Bounoua dans Télérama. Dans la foulée, un groupe informel, le Café des OS – pour ouvriers spécialisés, pied-de-nez au vocabulaire de l’article du Monde – est créé, afin de faire connaître leurs conditions de travail, mais permet surtout de se rencontrer entre « Pakis du Web ». Et parmi ces « forçats », on trouve la « crème » de Twitter de l’époque, composée de journalistes sortant d’école, en stage, pigistes ou déjà en poste : certains membres de la Ligue du LOL (créée par Vincent Glad la même année), mais pas seulement. « L’ambiance était bon enfant, on se croisait, se souvient Steven Jambot, ex-étudiant de Toulouse embauché à France 24 (avant un crochet à la tête de Mashable France et aujourd’hui à RFI), avec un compte Twitter déjà bien garni en abonnés. Une bande de jeunes gens bossant sur le Web s’est rapidement constituée, qui a petit à petit imposé un ton vachard et s’est posée comme ambassadrice de la coolitude et de l’influence. »
La force du réseau (social)
Pour un jeune journaliste arrivant sur le marché du travail, sans réseau dans le métier et sans – trop – d’expérience en rédaction, les places sont chères et rares. « Dans les écoles de journalisme, c’est en général le directeur qui aide à entrer en contact avec les médias parisiens, dit Steven Jambot. Twitter permettait d’avoir directement accès aux rédacteurs en chef, avec une carte de visite à présenter assez complète : quels sujets nous intéressaient, comment on interagissait avec les autres, à quoi ressemblaient nos productions. »
Dans un dossier intitulé « Toi aussi, deviens un twitto » daté de 2011, Télérama observait le fonctionnement en vigueur : « Suivre les gros comptes dans l’espoir qu’ils vous suivent en retour. Leur envoyer des messages brillants, risquer le clash. Se faire remarquer, sans en faire trop. Une blague ratée et hop, vous voilà tout unfollowé. En revanche, si vous êtes malin… Vincent Glad, à 26 printemps, est déjà suivi par tous les journalistes qui comptent. » Nombreux étaient ceux qui pensaient alors obligatoire de prendre la parole, d’interagir, pour sortir du lot et pouvoir obtenir un petit poste quelque part. Se faire discret, c’était prendre le risque de passer sous les radars des rédactions. Sur cet espace sans barrière hiérarchique que semblait être Twitter, on pouvait avoir la logorrhée facile, avec le risque d’en faire trop. Claire (2), aujourd’hui journaliste de 34 ans dans un hebdo parisien, explique dans Télérama que « l’aptitude à manier Twitter était alors plus importante que les qualités journalistiques ». « Je mourais d’envie de faire partie de ces “cool kids”, explique aujourd’hui Sophie (2), ancienne journaliste sortie de Sciences Po Lille au début des années 2010. Ils discutaient en public avec les chefs, des “darons”, cool eux aussi, et ils squattaient les places dans toutes les rédacs qui nous faisaient rêver. Mais en les rencontrant, je me suis rendue compte que ce n’étaient pas eux qui allaient me donner du boulot. Pire : ils galéraient aussi dans ce métier, entre piges et contrats précaires. »
N’empêche : nombre de recruteurs semblaient séduits par ces beaux parleurs. « Certains rédacteurs en chef s’en défendent aujourd’hui, mais ils ont pu recruter sur le nombre de followers. Ça a pu servir de valeur marchande autant que ça a pu freiner des débuts de carrière », dit Samuel Laurent du Monde.fr. Les tweets postés avec le mot-clef #FollowFriday, qui indiquaient, le vendredi, quels étaient les comptes intéressants à suivre, ou encore l’appli Klout, système de calcul de l’influence et de la popularité de son compte Twitter, passent aujourd’hui pour des aberrations narcissiques, mais étaient alors pris au sérieux. Eric Mettout de L’Express le confesse : « C’est sur Twitter qu’on suivait le travail des journalistes 2.0, on les scrutait, on se les piquait entre nous. » Les gens interrogés pour cet article disent tous avoir été repérés via un tweet, voire « un article qui a buzzé et m’a valu un entretien pour un poste sur le site de 20 Minutes », plus que pour leurs écrits journalistiques.
Dérapages incontrôlés
L’affaire de la Ligue du LOL a mis en lumière l’existence des leviers de cooptation dans ce tout petit milieu, notamment parce que certains de ses membres sont passés par plusieurs rédactions innovantes et attractives comme Slate, Owni, Le Mouv’, Libération, 20 Minutes... Leurs chefs, d’ailleurs, y allaient eux aussi de leurs tweets rigolos – ils sont aujourd’hui peu enclins à assumer l’ambiance instaurée à l’époque, et n’ont, pour la plupart, pas souhaité répondre à nos questions.
Ce contexte d’« un petit milieu concentré sur un petit réseau » (Samuel Laurent) renforçait le sentiment d’appartenance à « un village gaulois peuplé de gens irascibles », comme le décrit Eric Mettout : « Si on ne répondait pas aux attaques, notamment de la vieille garde journalistique, on se faisait bouffer tout cru. Avec le recul, aller au (tweet)clash était en fait une perte de temps. » Tout le monde semblait y utiliser, comme le dit Alice Antheaume de Sciences Po Paris, « le même jargon » et « développer un esprit de corps », que l’on soit membres de la Ligue du LOL ou journalistes plus discrets ou sérieux. « On cherchait simplement des journalistes capables de maîtriser ces techniques, qui manipulaient les réseaux sociaux, qui pouvaient certes créer des fakes grossiers pour faire rire, mais qui savaient aussi ne pas se faire avoir, défend toutefois Eric Mettout. On n’a pas su voir certains signaux. A force de leur répéter qu’ils étaient les meilleurs, on a créé des monstres. On les a sûrement fait grandir trop vite… »
Comment une Ligue du LOL a pu prospérer si cette communauté de jeunes 2.0 adoubés par leurs aînés était au centre de toutes les attentions ? « Je suis sûr que les rédacteurs en chef de l’époque savaient très bien ce que leurs employés/amis faisaient sur Twitter. Mais ça les arrangeait bien d’avoir des ambassadeurs de leur média très populaires », nous dit l’un de nos interlocuteurs en off. Il faut cependant se souvenir qu’à l’époque Twitter ne comportait pas de fils de conversation, pas d’outil de recherche ou ne faisaient pas apparaître les échanges de personnes que l’on ne suivait pas, pouvant créer des angles morts propices aux dérives. Et quand des dérapages ont été signalés, ils sont restés « lettre » morte.
« Twitter était un parcours non fléché. Si les médias et les grands chefs n’avaient pas déserté les réseaux sociaux, on aurait pu éviter cette situation. Certaines sorties repérées à l’époque et les comportements mis en lumière aujourd’hui sont des fautes journalistiques », juge Jean-Charles Bouniol, enseignant à l’IJBA. Aurait-il fallu édicter des règles ? « Je n’étais pas spécialement pour la création d’une charte des médias sur les réseaux sociaux. Avec le recul, c’est vrai que des garde-fous auraient été bienvenus », complète Samuel Laurent, qui indique toutefois que « l’usage de Twitter chez les journalistes s’est très vite normalisé, notamment à partir de 2012 : l’élection présidentielle a ouvert le réseau à d’autres personnes, dont les militants politiques ». Qui ont repris, avec brio, le flambeau du harcèlement 2.0.
En 2019, Twitter a changé, les journalistes se sont policés et le web-journalisme est enfin mieux considéré. Les questionnements sur l’encadrement et la formation parcourent aujourd’hui la profession. Ce n’est pas ce qui résoudra tous les problèmes mis en lumière par l’affaire de la Ligue du LOL, mais c’est déjà ça : « Sexisme, cyberharcèlement et responsabilisation sont des thématiques que nous abordons ou allons aborder frontalement dans les formations que je donne, notamment avec le collectif Prenons la une », précise Philippe Couve. Et dans les cours de journalisme web donnés à l’école de journalisme de Bordeaux, l’exemple à ne pas suivre de Vincent Glad a été remplacé par celui de Donald Trump. Au moins son compte Twitter ne souffre pas d’ambivalence.