Attentat de Trèbes : cinq nouvelles gardes à vue… 25 juin
… et toujours aucune pour les commanditaires de l’attentat, pourtant connus avant même la commission des faits…
Il y a aussi dans cette affaire une question à laquelle ne répond clairement aucune des informations rendues publiques jusqu’à ce jour : le boucher était-il spécialement recherché et visé ? Pourquoi le tueur est-il allé parler avec la boulangère avant de revenir vers les caisses et le tuer ? De quel genre d’assassinat s’agit-il réellement ?
Je suis quasi certaine qu’il était bien spécialement visé et tout aussi certaine de savoir pourquoi, mais bon… pour des individus tels, par exemple, les nuls en tout et néanmoins très ambitieux, férus de pouvoir, qui à Brest nous tiennent lieu de parquetiers ou juges d’instruction, une femme ingénieur n’a toujours pas la « crédibilité » d’une vraie prostituée…
Attentat de Trèbes : coup de filet du RAID et de la police judiciaire de Montpellier
Un coup de filet a été lancé à 6h ce mardi à Carcassonne et alentour par les policiers du SRPJ et du RAID de Montpellier, avec la SDAT, dans le cadre de l’attentat de Trèbes.
INFO MÉTROPOLITAIN. Une importante opération de police est en cours à Carcassonne et alentour, dans l’Aude, dans le cadre de l’attentat de Trèbes. La sous-direction antiterroriste -SDAT- de la direction centrale de la police judiciaire descendue de Paris, des enquêteurs du Service régional de police judiciaire -SRPJ- de Montpellier et les policiers d’élite de l’antenne du RAID de Montpellier ont investi des appartements ciblés.
Il s’agit de proches de Redouane Lakdim, le terroriste abattu le 23 mars 2018 dans le Super U de Trèbes, qui ont été identifiés lors des investigations pointues et minutieuses qui se poursuivent depuis plus d’un an. Des perquisitions sont en cours. Cinq suspects âgés de 19 à 29 ans ont été placés en garde à vue.
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Quatre morts
Plus d’un an après les attentats de Trèbes et de Carcassonne, où quatre personnes ont perdu la vie, l’enquête se poursuit pour tenter d’identifier les soutiens de Redouane Lakdim, passé à l’acte le 23 mars 2018. Alors qu’un proche de l’auteur de l’attaque a été placé en garde à vue au début d’avril, avant d’être relâché, les investigations se portent une nouvelle fois sur son entourage.
La mère et les deux sœurs de l’assaillant avaient été placées en garde à vue, mardi 16 avril dernier par les policiers de la sous-direction antiterroriste, avant d’être finalement levées 48 heures plus tard, iAucune charge n’avait été retenue contre la mère de Redouane Lakdim et ses sœurs.
Déjà entendues au début de l’enquête, ces trois femmes, âgées de 47, 22 et 18 ans, vivaient avec le délinquant de 25 ans « fiché S » (pour sûreté de l’Etat).
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Cinq mises en examen
Cinq personnes sont mises en examen, quatre hommes et une jeune femme, âgés de 19 à 24 ans, qui étaient tous des proches du terroriste. Des profils qui illustrent en creux un environnement de cité très radicalisé où la détention d’arme est monnaie courante : un champ de travail difficile pour les enquêteurs.
Douze mois après les faits, les éléments manquent encore pour étayer la façon dont Radouane Lakdim, 25 ans à l’époque, s’est procuré une arme de poing de calibre 7,65 mm, et identifier les personnalités qui ont clairement pu l’inciter à passer à l’acte.
Le jeune homme était suivi depuis 2013 par la direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI. Ses amitiés étaient connues. Quelques jours avant son périple sanglant achevé par la prise d’otages du Super U de Trèbes – lors de laquelle il a trouvé la mort –, il avait reçu une convocation pour un entretien avec le service de renseignement. Mais ses préparatifs n’en demeurent pas moins obscurs.
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Otages dans le Super U
Le 23 mars 2018, Radouane Lakdim, 25 ans, avait volé une voiture à Carcassonne dont il avait abattu le passager et blessé le conducteur par balle. Il avait ensuite tiré sur des policiers devant leur caserne, avant d’entrer dans un supermarché Super U à Trèbes où il avait tué un boucher, un client, ainsi que le lieutenant-colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame, qui s’était livré comme otage à la place d’une femme. Le djihadiste avait été ensuite tué par des membres de l’antenne du groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) de Toulouse.
Tombé en héros
Le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, officier adjoint commandement du groupement de gendarmerie départementale de l’Aude, avait succombé aux blessures par balle. Dépêché sur place dans le cadre du dispositif de gendarmerie, le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame s’était volontairement substitué au dernier otage entre les mains du terroriste.
Grâce à son téléphone laissé ouvert, les forces d’intervention ont pu suivre l’évolution de la situation à l’intérieur du supermarché. Ce 23 mars 2018, à 14 h 25, après de nouveaux tirs, les militaires de l’antenne GIGN de Toulouse ont déclenché le plan d’assaut d’urgence. Touché par balle à trois reprises par le terroriste, le lieutenant-colonel Beltrame est décédé dans la nuit du 23 au 24 mars des suites de ses blessures, malgré l’intervention rapide des secours et sa prise en charge au centre hospitalier de Carcassonne.
Âgé de 44 ans, il était marié.. Depuis, plus de 200 villes en France ont baptisé des artères, places, squares etc. du nom de cet officier de gendarmerie.
Attentat de Trèbes : «Plus Beltrame avançait, plus je sentais Lakdim trembler»
Quatre mois après l’attaque jihadiste qui a fait 4 morts dont un gendarmerie, dans l’Aude, «Libération» a eu accès au dossier, et notamment aux PV issus de la vidéosurveillance, qui éclairent les coulisses de l’assaut mené par le GIGN.
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Attentat de Trèbes : «Plus Beltrame avançait, plus je sentais Lakdim trembler»
Il est 10 h 38, ce matin du 23 mars, lorsque la caméra numéro 40 du Super U de Trèbes filme l’arrivée d’une Opel Corsa blanche. Le véhicule roule à faible allure, avant de s’immobiliser sous un arbre touffu. Une minute plus tard, un homme vêtu d’un pantalon de treillis, d’une doudoune marron clair et d’un tee-shirt long à capuche bleu marine s’en extirpe. A petites foulées, il se précipite alors vers l’entrée du supermarché, et s’apprête à semer quatre heures et demie d’horreur.
Cet homme s’appelle Radouane Lakdim. Fiché S depuis l’été 2014, il ne semblait plus inquiéter la Direction générale de la sécurité intérieure, qui a plusieurs fois envisagé de cesser sa surveillance faute d’éléments probants. Pourtant, ce 23 mars, le Franco-Marocain a bel et bien commis l’une des attaques jihadistes les plus meurtrières de l’histoire du pays. Avant d’arriver au Super U de Trèbes, Lakdim a déjà abattu Jean Mazières, un viticulteur de 61 ans. Il a également tiré sur des policiers revenant d’un footing, appliquant à la lettre les préceptes de l’Etat islamique.
A l’intérieur du supermarché, il ne faut que vingt-six secondes à Radouane Lakdim pour faire une nouvelle victime. L’un des deux bouchers de l’enseigne, Christian Medvès, 50 ans, badine avec l’employée de la caisse numéro 6. Le terroriste, qui revient précipitamment du rayon boulangerie, fond dans son dos. Il ne s’aperçoit de rien. Bras tendu, il porte alors son arme à «bout touchant», à l’arrière de son crâne. Mais le coup ne part pas. Lakdim recharge. Devant l’effroi de la caissière, qui se dissimule sous le tapis roulant, Medvès se retourne légèrement. Cette fois, Lakdim fait feu, toujours à «bout touchant».
«Allumer une mèche»
Les clients du magasin comprennent alors qu’ils vivent une attaque terroriste. Dans le champ de la caméra numéro 29, Radouane Lakdim brandit son arme et invective la foule. Aussi hallucinant que cela puisse paraître, à quelques mètres de là, à hauteur de la caisse numéro 3, deux hommes continuent de déposer leurs articles sur le tapis roulant. Est-ce par tétanie qu’ils ne fuient pas ? Le PV issu de la vidéosurveillance ne laisse planer aucun doute quant à leur compréhension de la scène en cours : «Nous pouvons les voir accuser le coup de feu quand ils contractent tous les deux leurs épaules et s’affaissent légèrement.» A 10 h 40, Lakdim s’avance vers l’un d’eux, Hervé Sosna, maçon retraité de 65 ans. Une balle dans la tête, de nouveau à «bout touchant».
La suite se déroule dans le huis clos de la salle des coffres, un réduit un peu foutraque duquel Lakdim ne sortira pas vivant. Avant d’y pénétrer, le jihadiste lance une grenade artisanale en direction de l’îlot des caisses 1 et 2. Elle n’explosera jamais. Une fois à l’intérieur, il découvre que l’hôtesse d’accueil du magasin, Y., 39 ans, s’y est retranchée. D’un ton satisfait, Lakdim lui lance : «Ben tiens, voilà mon otage.»
Lors d’une incroyable audition, Y. met des mots précis sur ses cinquante-deux minutes de captivité : «Il avait l’air content de trouver son otage, assez vite il m’a dit qu’il ne me ferait rien, il m’a demandé de trouver un téléphone. J’ai pris celui qui se trouve derrière la pièce où je me trouvais. A sa demande, j’ai contacté la gendarmerie de Carcassonne. Il m’a dit de dire qu’il s’agissait d’une prise d’otage au supermarché de Trèbes, il m’a dit de dire que c’était pour les frères en Syrie.»
Au bout du fil, une voix de femme :
«La gendarmerie, j’écoute, bonjour…
- Oui, bonjour madame, je m’appelle Y., je travaille à Super U à Trèbes.
- Oui ?
- Et je suis actuellement, euh… prise en otage par un monsieur armé.»
L’enregistrement intégral de l’appel – qui, étrangement, n’est pas horodaté – permet de mesurer la détermination sans faille de Radouane Lakdim. Même s’il ne se saisit pas directement du combiné, les revendications du terroriste sont aisément audibles : «Allah fait de moi un martyr. Donne-moi un martyr, Allah. Donnez-moi un martyr […]. Moi, j’ai pas peur là. Moi, j’ai envie de mourir.» Y. l’interrompt : «Moi, je ne suis pas prête à ça.» «Mais moi j’suis prêt», vocifère le jihadiste.
Pour survivre, Y. tente de se montrer réceptive et compréhensive à l’égard de Lakdim. «Il m’a posé des questions, il m’a demandé mon âge, mes origines, si j’avais des enfants. J’ai compris avec ce qu’il me disait, qu’il faisait une distinction entre ceux qu’il allait abattre et ceux qu’il allait laisser en vie. Il m’a dit qu’il avait tué le client dans le magasin car il ne le prenait pas au sérieux. Donc je me suis concentré pour avoir une attitude pour conserver son respect. Je lui ai dit que je comprenais sa démarche à lui, j’ai gardé mon sang-froid. J’allais dans son sens dès qu’il me parlait.» En psychologie, ce procédé, qui consiste à faire preuve d’un intérêt et d’une certaine empathie vis-à-vis d’un agresseur, a un nom : l’écoute active. Et la technique fonctionne. Moins agressif, Radouane Lakdim explique à Y. «que sa démarche était juste d’allumer une mèche, de faire une petite action, pour donner envie à ses frères de faire des actes plus violents». Il aimerait par exemple «que ses frères lancent un camion sur le magasin».
La gendarmerie est toujours en ligne. Radouane Lakdim empoigne désormais de temps à autre le combiné, pour cracher sa propagande : «J’vais la faire à la Coulibaly, j’vais rejoindre mes frères, Mohammed Merah, Coulibaly, ils ont raison […], j’vois que les soldats français violent des enfants au Mali, après ils ont une relaxe, ça se fait ça ? [les faits concernaient la Centrafrique, un non-lieu a été prononcé le 11 janvier, ndlr].» Plus tard, il reprend : «Je représente l’Etat islamique, vous voyez tous les bombardements que vous avez faits en Syrie, en Irak, au Mali, faut le payer, vous voyez. Là, j’ai un otage maintenant, je vais vous dire un truc. Je sais que vous allez pas vouloir, vous allez ramener Abdeslam Salah [seul survivant des commandos du 13 Novembre]. Je veux que vous le libériez, on fait un échange.»
Dehors, les gendarmes s’activent. Selon le rapport d’intervention du GIGN, que Libération a pu consulter, l’unité est prévenue à 10 h 56. Il est indiqué : «Devant la gravité des faits annoncés, le colonel Laurent P., commandant le GIGN, sollicite dès 10 h 58 auprès de la direction des opérations et de l’emploi de la DGGN, l’engagement du GIGN [basé à Versailles-Satory, près de Paris] et l’envoi immédiat de l’antenne GIGN de Toulouse.» Cette dernière, partie de la Ville rose par la route, est la première unité d’intervention à prendre position au Super U. Le rapport précise : «Douze personnels de l’antenne GIGN d’astreinte arrivent sur le site à 12 h 10. Dix-huit autres gendarmes supplémentaires de l’AGIGN rejoignent Trèbes ultérieurement.»
«Non, colonel, reculez !»
Entre-temps, l’un des personnages les plus célébrés de l’histoire récente est entré en scène : le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, 44 ans. A 11 h 21, la caméra numéro 32 filme l’entrée dans le magasin des premiers gendarmes à intervenir. Le PV issu des images de vidéosurveillance souligne : «La progression se fait par binômes, à la tête desquels se trouve le lieutenant-colonel Beltrame.» Un peu plus de trois minutes plus tard, à 11 h 24 et 40 secondes, la caméra 1 montre «le lieutenant-colonel Beltrame les deux bras en l’air, mains bien visibles au-dessus de la tête ; face au bas flanc de l’accueil, derrière lequel se trouve la salle des coffres et Lakdim. Immédiatement, une négociation s’engage entre les deux hommes. Nous voyons le lieutenant-colonel Beltrame agitant les deux mains vers le bas en signe d’apaisement à l’attention de Lakdim, puis vers ses effectifs ayant pris position derrière lui».
A cet instant, le destin du gendarme bascule. En prenant ses fonctions quelques heures plus tôt, Arnaud Beltrame était loin d’imaginer qu’il ferait face à «un soldat de l’Etat islamique» venu répandre la terreur dans cette petite ville de l’Aude. C’est seul que le lieutenant-colonel décide de négocier sa captivité contre celle de l’otage. A l’arrière, ses collègues du peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie l’en dissuadent fortement. Certains s’écrient «non, colonel, reculez !» ou encore «vous n’avez pas de gilet pare-balles !». Mais sourd et déterminé, Arnaud Beltrame avance vers Radouane Lakdim. Une initiative qui le conduit tout droit vers la mort. Contactées par Libération, six sources familières de ce type d’intervention peinent à masquer leur embarras à l’évocation des faits. Si toutes rendent hommage à la bravoure d’Arnaud Beltrame, qui a payé de sa vie la libération de Y., elles insistent sur le caractère «cavalier» et «inconscient» de la manœuvre. En clair, Beltrame n’aurait jamais dû procéder ainsi. «Les situations de crise telles que les prises d’otage requièrent des protocoles d’intervention des plus rigoureux. Les effectifs sont déployés selon des plans adaptés à la typicité des lieux, ainsi qu’au profil de l’assaillant. Ces schémas complexes sont le fruit d’une élaboration hiérarchique collective, dont l’objectif est d’aboutir à une libération avec le moins de dommages possibles. Arnaud Beltrame est un héros, cela ne fait aucun doute, mais il n’a pas agi selon les règles enseignées. Il les connaissait pourtant parfaitement», regrette, très ému, un gradé de la gendarmerie.
«Là, j’ai vraiment eu peur»
Dans la salle des coffres, Lakdim, qui craint d’être abattu lors de la progression de Beltrame, tient désormais Y. en joue. Lors de son audition, elle raconte : il «a menacé de m’abattre et une minute après il est entré en négociation avec un gendarme [Beltrame, ndlr]. Le gendarme lui demandait exactement ce qu’il voulait mais il n’avait pas grand-chose à demander car je pense qu’il savait comment ça finirait […]. L’auteur m’a mis le canon de son arme sur la tempe, plus précisément derrière l’oreille […]. Plus [Beltrame] avançait, plus [Lakdim] tremblait. Là, j’ai vraiment eu peur. Il a demandé au gendarme d’enlever son arme, ce qu’il a fait en la posant sur la table de l’accueil […]. Quand le gendarme s’est retrouvé avec nous à l’accueil, [Lakdim] a demandé son arme. Le gendarme a fait demi-tour, a pris son arme, a enlevé le chargeur, il l’a fait glisser au sol vers nous. Le gars [Lakdim] a vu tout de suite qu’il n’y avait pas le chargeur avec. Il lui a demandé le chargeur. Du coup, le gendarme s’est exécuté, et il a fait passer l’arme au sol. Là, [Lakdim] a ramassé le chargeur et l’arme […]. Il a mis le chargeur dans l’arme. Le gendarme était avec nous dans la pièce. Je lui ai dit « ok, je vais sortir doucement ». Pendant que je m’éloignais, le gendarme a pris ma place». A 11 h 32 et 37 secondes, la caméra 3 filme Y. en train de prendre la fuite en courant. «A compter de cette heure, révèle le PV issu de la vidéosurveillance, l’action est figée dans la salle des coffres. Aucun mouvement n’est détecté par la caméra 3 ou la caméra 1 ; c’est-à-dire que nous n’avons aucun élément sur le huis clos qui s’est déroulé entre le lieutenant-colonel Beltrame et Lakdim.»
Pour comprendre la suite des événements, il faut donc s’en remettre au rapport d’intervention sibyllin du GIGN. En préambule, le document indique que 24 personnels du GIGN décollent à 12 heures, en hélicoptères, de l’aéroport de Villacoublay (Yvelines). Dix minutes plus tard, leurs collègues partis de Toulouse arriveront sur site. Durant toute la durée du vol, les liaisons téléphoniques seront conservées. Le rapport insiste sur un autre point essentiel : le terroriste dispose désormais d’une arme supplémentaire, le pistolet automatique de dotation d’Arnaud Beltrame, garni d’un chargeur de 15 cartouches.
A 12 h 25, un tireur d’élite de l’antenne de Toulouse se positionne face à la porte de l’accueil du Super U, à une distance de trente mètres. Une escouade de cinq gendarmes s’installe également près de l’accueil, pour intervenir en cas urgence. A 12 h 45, Arnaud Beltrame contacte le commandant de groupement. Ce dernier fait savoir au GIGN par téléphone que Radouane Lakdim exige une nouvelle fois la libération de Salah Abdeslam, faute de quoi il fera sauter ses grenades. Nouveau rebondissement à 13 h 10, le jihadiste apparaît dans l’encadrement de la porte de la salle des coffres, légèrement entrouverte. Arnaud Beltrame lui sert de bouclier humain, empêchant le tireur d’élite d’ouvrir le feu. Mais la porte se referme brutalement. Parallèlement, les gendarmes font sonner différents téléphones dans l’espoir d’entamer une négociation. A 13 h 30, le rapport d’intervention du GIGN mentionne : «L’utilisation d’un moyen d’acquisition du son à travers les murs permet d’entendre T. [Radouane Lakdim, ndlr] prier.»
Une dizaine de minutes plus tard, le terroriste s’irrite. Par la voix d’Arnaud Beltrame, il exige qu’on lui remette un chargeur de téléphone sur le comptoir de l’accueil. Le lieutenant-colonel réapparaît dans l’encadrement de la porte de la salle des coffres, et fait «ok» avec sa main. Il annonce en outre que Lakdim dispose de deux armes à feu et d’une grenade. A ce moment précis, un dilemme naît dans l’esprit des gendarmes. L’antenne GIGN de Toulouse intervient-elle seule ? Ou attend-elle le contingent d’Ile-de-France ? A 14 heures, un compromis est adopté. Le commandant du GIGN donne les directives suivantes : «Jouer la fourniture du chargeur sans attendre si le terroriste s’énerve. Etre en mesure de déclencher un plan d’assaut d’urgence en cas de brusque dégradation de la situation à l’intérieur de la pièce.» A 14 h 08, Beltrame récupère un téléphone – probablement le sien – sur le comptoir de l’accueil.
Depuis le PC arrière de Versailles-Satory, les négociateurs s’activent pour nouer une liaison téléphonique avec Radouane Lakdim. Après de multiples essais infructueux sur les lignes fixes du Super U, une communication s’engage, à 14 h 13, sur le portable d’Arnaud Beltrame. Le lieutenant-colonel demande à Lakdim s’il peut mettre le haut-parleur. Le terroriste accepte :
«Bonjour Radouane, c’est le négociateur du GIGN.
- Oui, alors j’ai demandé qu’on fasse un échange, le lieutenant-colonel gendarme contre Salah Abdeslam, Fleury-Mérogis.
- Oui, c’est ce que vous souhaitez ça, c’est exact ?
- Vous serez pas capables alors d’échanger un de vos membres contre un de mes membres ?
- Ben, Radouane, vous savez très bien que ça ne se fait pas comme ça, non…»
«Attaque… assaut, assaut»
Une bonne minute passe. Le négociateur évoque la présence de la mère de Radouane Lakdim à son côté quand, soudain, Arnaud Beltrame hurle : «Attaque… assaut, assaut.» Il est 14 h 16.
La suite s’avère relativement confuse. Au téléphone, le négociateur ne semble pas percevoir immédiatement que la situation lui échappe. Il s’égosille, malgré «des bruits de lutte et de cris» (audibles grâce au haut-parleur) : «Vous m’entendez ? Arnaud, vous êtes là ? Radouane, tu m’entends ?» Ses appels désespérés, entrecoupés de «bruits de râle», durent plusieurs minutes. Dehors non plus les effectifs ne semblent pas réagir dans la seconde. Le contingent du GIGN parisien est sur le site depuis à peine une minute lorsque Beltrame s’époumone «attaque… assaut, assaut». Faute de temps pour se coordonner, seuls les gendarmes de l’antenne toulousaine investissent le Super U. A la lecture du dossier, il s’avère très compliqué de connaître le laps de temps précis entre les cris d’Arnaud Beltrame et l’arrivée des gendarmes d’élite dans la salle des coffres. Etrangement, le rapport du GIGN ne donne jamais cette indication. Le PV issu de la vidéosurveillance livre cependant un indice : à 14 h 24 et 30 secondes, la caméra 32 filme l’arrivée des effectifs. Soit donc 8 minutes et 30 secondes après les premiers cris du lieutenant-colonel, une éternité.
Lorsque les hommes du GIGN pénètrent dans la salle des coffres, Radouane Lakdim est assis, dos à la porte. Arnaud Beltrame, porteur de plusieurs impacts de balles et tailladé au niveau du cou, est allongé sur lui, inanimé. Le terroriste crie «allah akbar», tente de se redresser. Mais il est finalement abattu. A 14 h 28, l’assaut est terminé et les premiers soins d’urgence sont apportés au lieutenant-colonel. Ils ne permettront pas de le sauver.