Jean-Louis Gergorin et Ali Ben Moussalem 9 juin
Ci-dessous les deux seuls papiers que j’ai pu trouver où leurs deux noms sont cités.
Ils concernent l’affaire de l’attentat de Karachi du 8 mai 2002 (à ce moment-là, j’étais au fond du lit, je récupérais tant bien que mal après avoir encore frôlé la mort par assassinat).
Que vient donc faire Jean-Louis Gergorin dans cette affaire ?
Quand et pourquoi a-t-il demandé à Gérard Willing un rapport détaillé sur Ali Ben Moussalem ?
A-t-il entretenu des relations avec lui, lesquelles et quand ?
Cela me concerne, non ?
Enfin, oui, je suis concernée, c’est sûr.
C’est intéressant, ça, dites donc :
Pour tenter de calmer les choses, Jacques Chirac va faire intervenir son ami libanais, Rafic Hariri, qui possède également la nationalité saoudienne. 130 millions d’euros sont versés par Hariri sur un compte de Takieddine ouvert à la banque de la Méditerranée, à Beyrouth. Trois versements sont effectués : le 7 avril 1997 (75 millions), le 31 décembre 1997 (25 millions) et le 31 mai 1998 (30 millions.
Mais pas sûr que Ben Moussalem soit satisfait. D’autant qu’il commence à être « lâché » par la famille royale saoudienne, comme l’indique une note de la DGSE, datée du 7 octobre 1998.
La disgrâce de Ali ben Moussalem pourrait être une conséquence des enquêtes menées par l’entourage du roi Fahd sur les commissions que l’intéressé a perçues dans le cadre de contrats d’armements. Il lui a été demandé, en avril 97, de justifier au plan comptable la disparition d’un milliard de dollars.
Ma petite plainte l’a déjà calmé, il n’y a plus d’attentat. Par contre, elle gêne, elle pourrait bien déclencher une grosse instruction. Et donc, le chef de l’Etat en personne décide de lui donner des millions… pour le faire taire ?
Au mois d’avril 1997, j’avais encore quelques relations avec mes harceleurs qui me demandaient toujours de disparaître, et cette fois de quitter la France, de partir à l’étranger le plus loin possible, d’aller me cacher au fin fond de la forêt amazonienne et ne plus jamais revenir… puisque je n’étais toujours pas capable de me prostituer…
En fait, j’aurais été plus facile à assassiner hors le territoire de la DST qui leur avait déjà causé quelques soucis.
Mais je n’ai jamais obéi à un proxénète.
Et hop ! Dissolution !
C’est la coke qui leur fait faire tout ça, comme dit Gérard Fauré ?
Ali Ben Moussalem : le fantôme de l’affaire Karachi
Un nouveau personnage, un intermédiaire saoudien, cheik Ali Ben Moussalem, est désormais au cœur de l’enquête du juge Marc Trévidic. Il le soupçonne d’avoir pu commanditer l’attentat de Karachi (11 salariés français de la DCN tués le 8 mai 2002).
C’est un peu « le fantôme de l’affaire Karachi ». Ali Ben Moussalem est mort en 2004, en Suisse, dans des conditions jamais vraiment éclaircies. C’est « un fantôme » qui fait peur. L’homme était à la fois un riche homme d’affaires, propriétaire de palaces à Londres ou à Paris. Il était également le représentant officiel du royaume saoudien, titulaire d’un passeport diplomatique. C’était surtout l’homme clé des contrats d’armements, bien connu des services américains et des décideurs français. Ben Moussalem était aussi « l’exécuteur des basses œuvres », un proche des réseaux djihadistes.
Passez la souris sur chacun des points pour avoir des informations complémentaires.
<strong>En quoi Bin Moussalem pourrait être lié à l’attentat de Karachi ?</strong>
Parce que la piste privilégiée aujourd’hui par la justice est celle d’une vengeance d’intermédiaires qui n’auraient pas obtenu une partie l’argent promis en marge des contrats d’armements conclus, en 1994, par les balladuriens.
Il s’agit de la vente de sous-marins au Pakistan, mais surtout de la vente de frégates à l’Arabie Saoudite : le contrat « Sawari II ». Un méga contrat de 3 milliards d’euros, avec de juteuses commissions à la clé.
Alors que ces contrats sont déjà bouclés, un réseau d’intermédiaire, baptisé « le réseau K », est imposé au dernier moment par les balladuriens. On y retrouve le franco-libanais, Ziad Takieddine et son associé (libano-espagnol) Abdulrahman El-Assir. Ce réseau est, en réalité, piloté, par Ben Moussalem, avec comme dessein inavouable le financement de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur.
<strong>Un opposant à Ben Mussalem débarqué par les balladuriens</strong>
Ceux qui tentent de s’opposer à ce réseau sont débarqués. C’est le cas de Jean-Claude Sompairac .
L’homme dirige alors la SOFRESA (Société française d’exportation de systèmes avancés), la structure française chargée de négocier le contrat saoudien. Son ami, ancien industriel de l’armement, Jean de Tonquedec, se souvient de cette éviction. « Lors d’un déjeuner, Jean-Claude Sompairac m’a raconté comment il a été évincé de son poste de président de la SOFRESA. Il était en train de préparer ses affaires parce qu’il avait un rendez-vous le lendemain en Arabie Saoudite avec le Prince Sultan, le ministre saoudien de la Défense, à propos du contrat Sawari II. Il reçoit un coup de fil du cabinet du ministre de la défense, François Léotard, lui demandant d’annuler son départ, et d’être dans le bureau du ministre le lendemain. Jean-Claude Sompairac explique que ce n’est pas possible, qu’on n’annule pas, comme ça, un rendez-vous avec le Prince Sultan, mais devant l’insistance du cabinet du ministre, qui était « son patron », il est obligé de céder. »
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Le lendemain, il se retrouve, donc, dans le bureau du cabinet du ministre.On lui explique qu’on vient de s’apercevoir qu’il avait déjà dépassé largement la limite d’âge et que, par conséquent, il est absolument nécessaire qu’il prenne sa retraite, et qu’il aille se reposer ! Il n’apprécie pas vraiment. Il demande à voir le ministre de la Défense, qui le rassure : « On va arranger ça, ne vous inquiétez pas. Rentrez chez vous, je vous passerai un coup de fil… » Jean-Claude Sompairac m’a dit : « Tu vois, ça fait déjà plusieurs années… et j’attends toujours le coup de fil du ministre !
Mais pourquoi était-il indispensable aux yeux des balladuriens d’éjecter Jean-Claude Sompairac de son poste ?
Jean-Claude Sompairac a toujours été opposé à tout versement de rétro-commissions, c’est-à-dire une commission qui retourne en France, explique Jean de Tonquedec. On paye un intermédiaire, qui vous renvoie de l’argent. Donc, Jean-Claude Sompairac était un obstacle qu’il fallait « éliminer ». Il n’avait pas besoin d’un Ben Mussalem, puisqu’il avait le contact direct avec le prince Sultan, et que le marché était sur le point d’être signé.
Et c’est finalement Jacques Douffiagues, un proche des balladuriens, qui prend la tête de la SOFRESA de 1993 à 1995.
<strong>De nombreuses rencontres avec les balladuriens</strong>
Ben Mussalem était très proche des balladuriens confirme sur procès-verbal l’un de ses anciens collaborateurs, un français d’origine égyptienne, Aymard Amr Haggag.
« M. Ben Moussalem m’a expliqué que l’Arabie saoudite soutiendrait la candidature de Balladur car ils sont persuadés qu’il sera président de la République et que M. Léotard sera le prochain Premier ministre . Ben Moussalem conseille au roi de soutenir cette candidature. »
__ A la dernière minute, il y a un nouveau contrat, un nouveau réseau et donc des commissions supplémentaires qui n’étaient pas nécessaires pour signer le contrat Sawari II. Le « réseau K » qui rencontre des politiques dans des endroits publics, tels l’hôtel prince de Galles, l’hôtel Meurice ou le Ritz, était inutile.
Un emploi du temps versé au dossier judiciaire détaille ces multiples rencontres entre Ben Mussalem et les balladuriens entre 1993 et 1995.
Emploi du temps d’Ali Ben Moussalem
-30 octobre 1993 : Ben Moussalem à Paris. Rencontre avec le directeur de cabinet d’Edouard Balladur, Nicolas Bazire, et Takieddine.
- 18 novembre 1993 : Rencontre avec Edouard Balladur et son directeur de cabinet
- 24 décembre 1993 : Rencontre avec le ministre de la défense, François Léotard, et Takieddine.
- 1er janvier 1994 : Rencontre avec Edouard Balladur et Nicolas Bazire
-18 mars 1994 : rencontre avec François Léotard et Takieddine
-6 avril 1994 : rencontre avec François Léotard et Renaud Donnedieu de Vabres (conseiller du ministre de la Défense)
<strong>La colère de Ben Moussalem</strong>
Finalement, c’est Jacques Chirac qui remporte la présidentielle en mai 1995. Le robinet des commissions des intermédiaires balladuriens est immédiatement coupé. L’ « argent noir » des contrats d’armement est réorienté vers les réseaux chiraquiens. Ce qui déclenche la fureur de Ben Moussalem, comme l’explique au juge Trévidic Gérard Willing, un proche du renseignement français, ancien journaliste, spécialiste du monde de l’armement, reconverti dans l’intelligence économique, et informateur de la DST (Direction de la surveillance du territoire) à partir des années 1980.
J’ai appris que Ben Moussalem était fou de rage, à la suite de l’arrêt du paiement des commissions du contrat Sawari II. Il y avait un trou de 120 millions d’euros dans le versement de ces commissions.
Les contrats sont déchirés et Ben Moussalem n’est pas content , parce que l’argent qui devait lui revenir est allé ailleurs.
Gérard Willing raconte également au juge Trévidic avoir prévenu la DST, en 1994, que l’arrivée du « réseau K » dans les contrats d’armement « relevait d’un système de financement politique en faveur du Parti républicain et de l’association de M. Balaldur. »
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Très rapidement, la DST a mis des moyens techniques en place comme « des sous-marins » c’est-à-dire des voitures banalisées pour filmer les participants à des réunions à l’hôtel Prince de Galles ou ailleurs entre Messieurs Léotard, Bazire, Donnedieu de Vabres essentiellement. Ils faisaient de « la filoche » (surveillance) pour voir qui rentrait, qui était avec qui, les va-et-vient de ces personnes. La DST voulait avoir des photos de leurs têtes. Ils m’ont d’ailleurs montré ces photos pour que je les identifie.
<strong>« Pour une telle somme, on tue »</strong>
Gérard Willing assure aussi qu’Ali Ben Moussalem avait des contacts avec les mouvements djihadistes et Al-Qaïda.
Quand il y a eu l’attentat, je me suis rappelé que j’avais vu Ben Mussalem au Pakistan et qu’il avait apparemment des contacts avec des gens de l’ISI (les services de renseignement pakistanais). Je sais queBen Moussalem avait des entreprises communes avec Eslam ben Laden, un des frères d’Oussama. Il avait fréquenté Oussama quand celui-ci combattait les soviétiques et était le chouchou des Américains. Ben Moussalem a également était impliqué dans l’affaire de la BCCI, la banque pakistanaise, et dans l’Irangate (la livraison illégale d’armes à l’Iran par l’administration Regan pour financer les opposants au Nicaragua)
Juste après l’attentat de Karachi, Gérard Willing explique également avoir rédigé une note de synthèse à l’attention de son agent traitant de la DST (dont l’alias était « Verger »). Dans cette note datée du 13 mai 2002,Gérard Willing écarte la thèse officielle de « la nébuleuse Al Quaïda » pour se concentrer sur un mobile financier lié aux contrats d’armements.
Dans cette note intitulée « éléments de réflexion sur l’attentat de Karachi », Gérard Willing évoque une_« captation d’héritage »_ opéré à partir de 1996 par les amis orientaux du clan chiraquien au détriment de la coterie initiale ». Il parle du contrat Sawari II, et du « message » que constitue à ses yeux l’attentat de Karachi à destination des chiraquiens.
Ainsi, seuls l’émetteur et le récepteur du message sont a même de comprendre le sens implicite de la sommation à savoir : le règlement immédiat d’une dette en souffrance, estimée à 120 millions d’euros, plus les intérêts de retard. Pour une telle somme, on tue.
Gérard Willing affirme encore au juge Trévidic avoir remis un rapport de 100 pages sur Ben Moussalem à l’intention du général Philippe Rondot (conseiller auprès du ministère de la Défense), après l’attentat de Karachi.
« Beaucoup de gens ont dit que Ben Mussalem en voulait à mort à la France depuis des années, parce qu’il n’avait pas été payé. Dans le rapport très détaillé que j’ai fourni à Jean-Louis Gergorin, j’ai indiqué que depuis le début de sa carrièreBen Mussalem était considéré comme un tueur par les services saoudiens , l’homme des basses œuvres. »
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Il a tué des gens de sa main ou a fait assassiner des personnes au Moyen Orient et ailleurs. Plusieurs de ses associés ont fini d’une façon brutale. Je sais que Gérard de Villiers voulait écrire un livre sur Ben Mussalem appelé « Le safari club », mais on lui a demandé de ne pas le faire…
<strong>« Justifier au plan comptable la disparition d’un milliard de dollars »</strong>
Pour tenter de calmer les choses, Jacques Chirac va faire intervenir son ami libanais, Rafic Hariri, qui possède également la nationalité saoudienne. 130 millions d’euros sont versés par Hariri sur un compte de Takieddine ouvert à la banque de la Méditerranée, à Beyrouth. Trois versements sont effectués : le 7 avril 1997 (75 millions), le 31 décembre 1997 (25 millions) et le 31 mai 1998 (30 millions.
Mais pas sûr que Ben Moussalem soit satisfait. D’autant qu’il commence à être « lâché » par la famille royale saoudienne, comme l’indique une note de la DGSE, datée du 7 octobre 1998.
La disgrâce de Ali ben Moussalem pourrait être une conséquence des enquêtes menées par l’entourage du roi Fahd sur les commissions que l’intéressé a perçues dans le cadre de contrats d’armements. Il lui a été demandé, en avril 97, de justifier au plan comptable la disparition d’un milliard de dollars.
<strong>Après le 11 septembre 2001, Ben Moussalem dans le collimateur des américains</strong>
Les Américains se posent également beaucoup de questions sur Ali Ben Mussalem. Ils le soupçonnent même de financer des réseaux djihadistes , en lien avec un banquier égyptien, basé en Suisse, un certain Youssef Nada.
C’est ce que montre notamment un document du Trésor américain, du 4 janvier 2002, signé George B. Wolfe.
« A partir de la fin septembre 2001, Ben Laden et son organisation Al-Qaïda ont reçu une aide financière de la part de Youssef M. Nada et d’Ali Bin Mussalim. Depuis les années 1980, suite au retrait de l’armée soviétique d’Afghanistan, Mussalim, aidé par Nada, assurait des services indirects d’investissement à Al-Qaïda**. »**
Ils investissaient des fonds pour le compte de Ben Laden et en assurant des livraisons d’espèces sur demande de l’organisation Al-Qaïda. A partir d’octobre 2000, la banque Al Taqwa apparut comme assurant une ligne de crédit clandestine pour les proches de Ben Laden.
<strong>« Cela serait très embarrassant pour la famille royale »</strong>
Des accusations réitérées dans une autre note de synthèse américaine, versée à l’enquête du juge Trévidic
Pendant la fin des années 1980 et pendant les années 1990, Mussalim est intervenu à titre de conseiller de la famille royale saoudienne et a été impliqué dans la facilitation du financement de la résistance afghane provenant de la famille royale saoudienne, dont une partie est allée aux moudjahidin menés par Oussama Ben Laden. Alors qu’une partie des fonds étaient utilisée pour l’achat d’armes,la grande partie du financement est allée sur des comptes personnels contrôlés par Oussama Ben Laden .
« Depuis la fin de la guerre afghane, Mussalim, aidé par Nada, a continué à assurer des services d’investissement indirects à Al-Qaïda, en investissant des fonds pour le compte de Ben Laden et en assurant des livraisons d’espèces à l’organisation Al-Qaïda. La source a indiqué que si le lien entre Mussalim et Oussama Ben Laden était établi, cela serait très embarrassant pour la famille royale saoudienne, mais le dit lien serait difficile à démontrer puisque les fonds investis ont été bien dissimulés et qu’il n’y a eu que des versements en espèces qui ont été effectués à Al-Qaïda. »
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<strong>Le magistrat suisse qui a enquêté sur Ben Moussalem parle enfin</strong>
Après le 11 septembre 2001, la justice suisse enquête sur le financement du terrorisme. Ces accusations américaines sur Ben Mussalem sont versées à la procédure suisse. A l’époque, les investigations sont menées par le substitut du Procureur général, à Berne, Claude Nicati.
Il s’exprime pour la première fois, sur le sujet. Malgré sa volonté d’en savoir plus auprès des Américains, Claude Nicati repart les mains vides…
« Nous sommes allés à Washington pour tenter d’en savoir plus auprès du département du Trésor américain. On leur a dit que nous étions prêts à enquêter mais qu’on voulait en savoir plus sur l’origine de leurs informations (sur la banque Al Taqwa et ben Mussalem). »
La réponse des Américains a été la suivante : « Merci d’être venu, mais on ne peut pas vous donner ces informations parce qu’elles proviennent de nos sources qui doivent rester confidentielles. » Nous, autorités de justice, accompagnés par des policiers venus spécialement sur place, on s’est donc retrouvés face à des services de renseignement américains qui ne voulaient pas donner leurs sources.
Finalement, l’enquête suisse n’a pas mis en lumière des liens financiers directs entre Ben Moussalem et des réseaux terroristes. Aucune charge n’est retenue. L’enquête est close le 31 mai 2005.
<strong>Un proche de Ben Mussalem… à quelques mètres d’un camp djihadiste</strong>
Pas de preuves au sens judiciaire du terme, donc, mais de forts soupçons sur d’étranges mouvements de fonds, se souvient Claude Nicati…
« On avait mis en évidence des fonds sur lesquels on pouvait se poser la question du bien-fondé économique de telle ou telle transaction. Mais ce n’est pas parce que vous avez ce doute que ça en fait forcément une transaction à connotation criminelle. Lorsque vous mettez en évidence qu’un virement part sur quatre autres entités financières, quatre autres banques, dans je ne sais quel pays, avant de revenir vers la banque émettrice, vous vous posez la question : pourquoi est-ce qu’il faut quatre banques ? »
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Pourquoi ça doit partir dans différents pays avant de revenir, sans plus-values, ni moins-values. On ne comprenait pas, ça n’avait pas de justification économique .
Les soupçons de la justice suisse ont également portés sur l’entourage de Ben Moussalem, explique encore Claude Nicati.
Nous avions mis en évidence qu’un des personnages s’était rendu en Afghanistan peu de temps avant les attentats du 11 septembre 2001. On avait récupéré une vidéo de son parcours en 4X4.Il s’était approché jusqu’à 200 mètres d’un camp d’entrainement de djihadistes . Le seul problème, c’est que la vidéo s’arrêtait là. Mais ça ne démontrait pas qu’il était entré dans le camp ou qu’il avait eu des contacts avec les djihadistes. Cette information s’est arrêtée là. C’était quand même surprenant, parce que si moi, je m’étais rendu à 200 mètres d’un camp d’entrainement de djihadistes, j’aurais eu quelques problèmes… Mais eux, ils n’ont eu aucun souci. Ils sont revenus sains et saufs. C’était un soupçon de plus, mais ce genre de soupçons n’est pas suffisant . En 2005, nous avons donc classé le dossier, faute d’élément probant. Il restait un doute mais le doute devait profiter à l’accusé. Nous n’avons pas transmis le dossier au tribunal, et rendu une ordonnance de non-lieu.
<strong>« Toujours une omerta autour de ce dossier »</strong>
Aujourd’hui, l’enquête du juge Trévidic se heurte au mur du secret-défense. Quasiment aucun document n’a été déclassifié sur Ali Ben Moussalem, suscitant l’incompréhension de certaines victimes de l’attentat, comme Gilles Sanson, gravement blessé à Karachi.
« C’est complètement impossible que la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure, ex-DCRI) n’ait aucun document sur Ben Moussalem au vu de l’importance du personnage. »
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Je suis complètement outré quand je vois que les services français mettent une chape de plomb sur le fait le financement du terrorisme international passait par les grands contrats d’armement ! C’est vraiment inavouable, sous un gouvernement de droite, comme de gauche. Il y a toujours une omerta autour de ce dossier.
<strong>Une avocate tente de contourner le mur du secret-défense</strong>
L’avocate de Gilles Sanson, Marie Dosé, a donc décidé d’engager une procédure inédite. Elle souhaite que des témoins soient directement entendus par la Commission chargée du secret-défense, qui décidera ensuite si leur témoignage peut être « déclassifiée »…
Je réclame la déclassification des informations, non pas écrites, mais orales, qui concernent Ben Moussalem. Le ministère de l’Intérieur et la DCRI nous expliquent qu’il n’y a pas de document écrit soit ils ont disparus, c’est-à-dire qu’on les a fait disparaitre, soit il n’y en a jamais eu mais ça, j’en doute beaucoup ! En tout état de cause, on nous dit qu’on ne peut pas déclassifier ces documents, puisqu’ils n’existent pas. Donc je demande à ce qu’on déclassifie les informations qui seraient en possession de témoins (des agents, des informateurs, des fonctionnaires…) couverts par le secret de la défense nationale qui concernent Ben Mussalem.
« Ces informations existent, parce que lorsque des témoins sont entendus dans cette affaire par le magistrat instructeur, ils ne disent pas que ça n’existe pas, ils disent que c’est couvert par le secret-défense : donc, ils savent quelque chose. Il suffit de les libérer. Les règles du code de procédure pénale, comme les règles du code de la défense, le permettent. La Commission consultative du secret de la défense nationale auditionnera ces témoins et dressera un procès-verbal de ces auditions. Elle dira si, à son avis, on peut déclassifier ou non, telle ou telle information dans ces auditions. Et le ministre décidera, ou pas, de les « libérer » de leur secret. Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas possible. Inédit, certes, mais pas impossible. »
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<strong>« Vous allez arrêter de nous emmerder avec vos bâtons merdeux ! »</strong>
Parmi les personnes qui oppose actuellement le secret-défense à la justice, il y a notamment un ancien responsable de la DST,Eric Bellemin-Comte.
Or, devant le juge Trévidic, Gérard Willing a raconté avoir évoqué le sujet Ben Mussalem lors d’un déjeuner, en 2004, dans un restaurant parisien avec Eric Bellemin-Comte.
Nous avons abordé le cas Ben Mussalem. Je m’étais souvent posé la question de savoir comment il avait pu être commandeur de la légion d’Honneur. Je me souviens qu’au sujet d’Ali Ben Moussalem, Eric Bellemin-Comte m’a dit : « Vous allez arrêter de nous emmerder avec vos bâtons merdeux ! » Ils en avaient marre que je leur amène des dossiers à problème qui pouvaient nuire à leur carrière.
De son côté, Eric Bellemin-Comte confirme qu’il connait Gérard Willing. En revanche, il ne « conserve pas de souvenir particulier » de cette conversation.
Petite précision : Eric Bellemin-Comte est aujourd’hui conseiller auprès du Coordinateur national pour le renseignement, à l’Elysée…
Texte : Benoît Collombat
Attentat de Karachi : le témoignage qui révèle les mensonges de la DST
« Le Monde » révèle le témoignage d’un ancien agent qui confirme l’existence d’une enquête sur un personnage clé de l’affaire, dont les services ne retrouvent aucune trace.
Personne ne connaît son nom. Dans le dossier d’instruction de l’attentat de Karachi, qui a fait quinze morts dont onze employés français de la Direction des constructions navales (DCN) le 8 mai 2002 au Pakistan, il apparaît sous son seul alias : « Verger ». Verger est un ancien agent de la Direction de surveillance du territoire (DST), l’ancêtre de la DGSI. Il n’avait encore jamais été entendu par la justice. C’est désormais chose faite. A la faveur d’un tour de passe-passe inédit, les magistrats instructeurs sont parvenus à contourner le secret-défense qui leur est opposé depuis le début de cette enquête.
DEPUIS 2009, LE JUGE MARC TRÉVIDIC CHERCHE À SAVOIR SI LE MOBILE POLITICO-FINANCIER A ÉTÉ VOLONTAIREMENT ÉTOUFFÉ AU PROFIT DE LA PISTE ISLAMISTE
Le témoignage de Verger, que Le Monde a pu consulter, a été déclassifié par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, le 23 octobre. Il vient confirmer des informations longtemps tues par les responsables des services de renseignement : la DST, chargée en 2002 de l’enquête sur l’attentat, avait bel et bien travaillé dès les années 1990 sur un certain Ali Ben Moussalem, aujourd’hui considéré comme un personnage clé de l’affaire.
Depuis 2009, le juge Marc Trévidic – chargé de l’enquête jusqu’à son départ du pôle antiterroriste en août 2015 – cherche à savoir si la DST a enquêté sur cet homme et le lui a caché. En d’autres termes si le mobile politico-financier a été volontairement étouffé au profit de la piste islamiste. Les anciens responsables des services qu’il a auditionnés sur ce sujet se sont systématiquement retranchés derrière le secret-défense. Et ses innombrables requêtes en déclassification concernant Ali Ben Moussalem se sont jusqu’ici heurtées à la même réponse : la DGSI, qui a succédé à la DST, ne retrouve aucune trace de ce travail dans ses armoires.
Ce cheikh saoudien était à la tête d’un réseau d’intermédiaires – dont faisait partie Ziad Takieddine – imposé par le gouvernement Balladur dans plusieurs marchés d’armement en 1994 : la vente des sous-marins français Agosta au Pakistan et des frégates Sawari II à l’Arabie saoudite. Il est le pivot de la thèse selon laquelle l’attentat serait une mesure de rétorsion après l’interruption des commissions prévues par ces contrats. Quelques mois après son accession à la présidence de la République en 1995, Jacques Chirac avait décidé de mettre fin aux versements, qu’il soupçonnait d’avoir financé la campagne de l’ancien premier ministre devenu son rival dans la course à l’Elysée.
Ali Ben Moussalem – qui est mort en 2004 – est considéré comme la principale victime de cette décision, avec un préjudice estimé à 120 millions d’euros. Ses connexions avec les services secrets pakistanais et la mouvance terroriste en font, pour les tenants de la thèse politico-financière, un suspect potentiel.
« Merci pour la France, elle vous le rendra »
Le témoignage de Verger ne suffit pas à étayer le mobile financier de l’attentat. Il confirme en revanche que le renseignement intérieur a bien observé des transactions entre Ben Moussalem et des membres du gouvernement Balladur dans les années 90. La scène qu’il relate a été immortalisée par des « sous-marins » de la DST, des véhicules placés devant la boutique Arije – qui occupait le rez-de-chaussée de la permanence de campagne de Balladur à Paris – en face de l’hôtel Prince de Galles, propriété de Ben Moussalem :
« En 1994-1995, je me suis intéressé aux activités de cheikh Ali Ben Moussalem et de son bras droit, Ziad Takieddine. Gérard Willing [le correspondant de la DST dont Verger était l’officier traitant] m’avait indiqué que la boutique Arije était une plaque tournante de trafics en tout genre et d’armes en particulier. La DST a placé cette boutique sous surveillance. A notre grande surprise, la campagne électorale étant lancée, nous avons observé que des membres du parti républicain de François Léotard [ministre de la défense du gouvernement Balladur] se rendaient dans l’immeuble abritant Arije. (…) Donnedieu de Vabres [chargé de mission auprès de François Léotard] aurait rencontré Ben Moussalem à l’hôtel Prince de Galles. Ce dernier lui aurait remis deux valises, pleines, selon Gérard Willing, d’argent. Donnedieu de Vabres aurait alors remercié Ben Moussalem en lui disant : “Merci pour la France, elle vous le rendra.” »
Aucune trace de cette surveillance n’a été retrouvée dans les archives de la DGSI. Ce témoignage tend ainsi à confirmer les soupçons des parties civiles, convaincues depuis des années que l’appareil d’Etat leur cache la vérité. « Soit la DGSI ment à la justice et à son ministre de tutelle, soit les souvenirs de cet épisode peu reluisant de la rivalité entre Chirac et Balladur ont été détruits », explique Me Marie Dosé, avocate de plusieurs parties civiles.
Durant les sept premières années de l’instruction, une seule piste a été creusée par la DST : celle d’un attentat perpétré par la nébuleuse Al-Qaida. Il faudra attendre 2008 – et la divulgation par la presse d’un rapport confidentiel commandé par la DCN dès septembre 2002, le rapport « Nautilus » – pour que la piste d’une vengeance liée à l’arrêt des commissions s’impose comme une alternative.
Lire aussi : Affaire de Karachi : si vous avez raté un épisode
Pendant six ans, le juge Marc Trévidic se heurtera au secret-défense opposé par les témoins qu’il auditionne. Faisant suite à de multiples demandes d’actes déposées par Me Dosé, il requiert en 2012, 2013 et 2014 la déclassification des notes de la DST sur Ben Moussalem. Il n’obtiendra qu’un seul document : l’analyse d’un article du quotidien suisse Le Temps, copieusement caviardée et ne présentant aucun intérêt pour l’enquête.
Les déclarations de Verger confirment – pour partie – celles du seul acteur de ce dossier à s’être montré prolixe sur le travail réalisé par la DST durant cette période : Gérard Willing. Cet « honorable correspondant » de la DST a affirmé dans le bureau du juge, le 28 janvier 2013, avoir enquêté sur Ben Moussalem dès 1994 et en avoir rendu compte à Verger, son officier traitant. Il précisait encore avoir transmis une note étayant la piste politico-financière cinq jours après l’attentat.
« Non – Non plus – Non plus – Non »
Son témoignage a depuis été régulièrement contesté – voire discrédité – par plusieurs anciens responsables de la DST. Aucune trace de son travail n’a jamais été retrouvée. Afin de vérifier ses assertions, le juge Trévidic a envoyé le 6 mai des questionnaires à remettre à cinq témoins qu’il n’avait pu entendre ou qui s’étaient retranchés derrière le secret-défense. Les réponses à ces formulaires ont été envoyées directement au ministre de l’intérieur – sans passer par le cabinet du juge – afin que le secret-défense ne puisse lui être opposé. A charge ensuite pour le ministre de les classifier, pour les déclassifier dans la foulée, ce qui est chose faite depuis le 23 octobre.
Les destinataires de ces questionnaires étaient : Jean-Louis Gergorin (ancien directeur de la stratégie du groupe Matra), Raymond Nart (ancien directeur adjoint de la DST), Eric Bellemin-Comte (ancien chef du service de la DST chargé des contacts avec Gérard Willing), Jean-Jacques Pascal (ancien directeur de la DST) et le fameux Verger. Le seul à avoir fait état dans ses réponses d’un travail sur Ben Moussalem est celui dont l’identité demeure à ce jour un mystère. Interrogé sur l’existence de cet agent, l’ancien directeur adjoint de la DST, Raymond Nart, affirme pourtant que l’alias « Verger » ne lui évoque « aucun souvenir ».
Eric Bellemin-Comte – aujourd’hui conseiller auprès du coordinateur national du renseignement à l’Elysée – continue lui aussi d’assurer que, « de mémoire », aucun travail n’a été effectué sur Ben Moussalem par son service. Quant à Jean-Jacques Pascal, ses réponses sont une succession de variations lapidaires sur le thème de la négation :
« J’ignore tout de Monsieur Gérard Willing – Non – Non plus – Non plus – Non – J’en ignore tout – Je ne connais pas le Cheikh Ali Ben Moussalem – Rien – Non. »
Treize ans après les faits, cet ancien patron de la DST continue de se dire convaincu, « à tort ou à raison », que l’attentat est le fait de « la mouvance taliban ».