Deux magistrates auraient participé « à l’insu de leur plein gré » à un trafic de drogue de grande ampleur au mois d’avril 2012.
Comme quoi les magistrats du Tribunal de Grande Instance de Brest qui ont multiplié les faux en écritures publiques dans les affaires qui me concernent ont bien tort de s’imaginer au-dessus des lois.
Quant aux journalistes qui se fient encore à ces criminels, ils feraient bien de revoir leurs méthodes d’ »investigation »…
Le 3 avril 2012, Sophiane Hambli, un des pontes du trafic de résine de cannabis en France, est extrait au petit matin de sa cellule du centre pénitentiaire de Nancy-Maxéville. Trois hommes de l’Office Central pour la Répression du Trafic Illicite de Stupéfiants (OCRTIS) dont le patron, le commissaire François Thierry ont fait le déplacement jusqu’en Lorraine. Officiellement, il s’agit de le ramener au siège de la PJ à Nanterre où il doit être entendu sous le régime de la garde à vue.
En réalité, celle-ci est totalement fictive. Les policiers conduisent bien le détenu jusqu’à Nanterre, non pas dans leurs locaux mais dans une chambre de l’hôtel Mercure situé à proximité. Sophiane Hambli y passera trois jours. « Ils seront utilisés par l’intéressé pour passer des très nombreuses communications téléphoniques à destination du Maroc pour nous renseigner au plus près pour une opération d’envergure », confiera François Thierry dans une audition le 21 mars 2017. Seul problème : cette garde à vue fantôme est totalement irrégulière. A l’époque, le montage aurait pourtant été validé par deux magistrates : Véronique Degermann, procureure adjointe au parquet de Paris et Karine Roussy-Sabourin, ancienne procureure à la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) de Paris.
Le commissaire et son indic
Cette extraction sous couvert de procédure virtuelle se retrouve aujourd’hui au centre des investigations de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour « infraction à la législation sur les stupéfiants », « faux et usage de faux en écriture publique » et « association de malfaiteurs ». Mardi, les deux magistrates ont été placées en garde à vue, une vraie cette fois-ci. Dans la soirée, Karine Roussy-Sabourin a vu sa garde à vue levée. Celle de la procureure adjointe a fait l’objet d’une prolongation avant d’être levée dans la soirée de mercredi.
L’enquête en cours porte sur un second volet de « l’affaire des stups ». Avec une même interrogation : les méthodes controversées du commissaire Thierry. Le premier dossier concerne la saisie record, le 17 octobre 2015, de 7 tonnes de cannabis dans trois camionnettes stationnées boulevard Exelmans dans le XVIe arrondissement de Paris. L’affaire avait alors mis à jour les liaisons dangereuses que François Thierry, mis en examen en septembre 2017 dans ce dossier, entretenait avec son principal informateur, Sophiane Hambli, recruté par le commissaire en 2009 dans une prison espagnole. C’est par son entremise que la drogue avait importée en France dans le cadre d’une opération de l’OCRTIS aux contours des plus flous.
La fausse garde à vue avait été… prolongée
Le second dossier a été ouvert à la suite des révélations d’Hubert Avoine, un ancien infiltré ayant travaillé pour le compte de l’OCRTIS et de François Thierry jusqu’en 2015. Ouverte à Paris, l’instruction a été dépaysée en août 2017 à Lyon. Et l’affaire de cette garde à vue fantôme jointe à l’information judiciaire. Si le premier volet avait bousculé la direction centrale de la police judiciaire, avec le second, c’est l’élite du parquet de Paris qui se retrouve à son tour pris dans la tourmente.
Les deux procureures ont-elles couvert les méthodes de François Thierry ?
« C’était en parfaite connaissance du parquet, il n’y avait pas d’acte à faire, pas d’audition, expliquait Christophe C., un policier des stups présent lors des faits, lors d’une audition du 21 mars 2017. Pour être tout à fait exact, je ne sais pas si le fait qu’Hambli était de fait dans cet hôtel, était connu du parquet. Seul « l’habillage » avec une garde à vue l’était ».
Dans ses auditions, François Thierry a reconnu le caractère « hors norme » du procédé, même si des policiers étaient présents avec Sophiane Hambli tout au long de l’opération. Il a également assuré avoir reçu « le soutien actif du parquet de Paris en les personnes de Mmes Degermann et Sabourin ». Après avoir prolongé elles-mêmes une première fois la garde à vue, ce sont les deux magistrates qui auraient présentées la requête aux fins de prolongation exceptionnelle au juge des libertés et de la détention.
« Hors la loi »
Lors de cette demande, un premier juge aurait émis des réserves sur le dossier. Et demandé aux policiers de revoir leur copie. Qu’à cela ne tienne : selon le témoignage de Christophe C, le patron des stups aurait alors pris contact avec la procureure-adjointe. Finalement, les policiers auraient été conduits chez un autre juge des libertés et de la détention, lequel validera la prolongation sans poser de questions. Depuis le début de l’affaire, François Thierry se targue d’avoir toujours reçu l’aval du parquet comme de la chancellerie pour mettre en place sa stratégie d’infiltration baptisée « Myrmidon ». « La destruction des pièces de prolongation de garde à vue et de la procédure fictive par François Thierry témoigne de sa volonté d’empêcher tout contrôle administratif, judiciaire ou disciplinaire ultérieur, et donc de se placer hors la loi », notait toutefois dans un arrêté de septembre 2017 la procureure générale de Paris, Catherine Champrenault.
Les dates de cette fausse garde à vue coïncident avec une opération à laquelle Hubert Avoine a participé au printemps 2012 en Espagne pour le compte de l’OCRTIS. « A cette période, François Thierry m’a envoyé pour surveiller une villa à Estapona, près de Marbella », confie à « l’Obs » celui qui a été entendu en septembre dernier comme témoin dans cette enquête. La villa donne sur la plage. Plusieurs policiers français auraient été également présents sur place.
« Avec eux, j’étais chargé de superviser des arrivages de résine de cannabis. Nous déchargions sur les plages la marchandise qui arrivait par bateau du Maroc à la nuit tombée, nous entreposions le tout dans la villa avant ensuite de charger des voitures qui remontaient en go-fast vers la France », raconte-t-il à « L’Obs », faisant le lien entre la fausse garde-à-vue et les livraisons sur la côte espagnole.
19 tonnes de shit
A l’époque, l’opération lui était déjà apparu des plus étranges. « Un des policiers me répétait sans cesse : « N’oublie pas de mettre des gants sinon on va avoir des ennuis avec les baveux »", se souvient-il. Sur place règne un drôle de mélange entre voyous et policiers français. Ces derniers seraient même intervenus auprès de leurs homologues espagnols pour faire sortir de prison un de leurs « contacts », arrêté à Puerto Banus. En tout, selon Hubert Avoine, ce sont 19 tonnes de shit qui seraient arrivés en trois arrivages. Combien de saisies ensuite ? « Personne ne le sait, assure-t-il. Aujourd’hui je me demande pour qui j’ai travaillé : la police ou les voyous. » Selon une note de la DCPJ, six personnes auraient été interpellées à la suite de ces livraisons. Ce qui peut sembler peu au regard des moyens déployés pour cette opération « d’ampleur ».
Dans le cadre de l’enquête lyonnaise, François Thierry a été placé en garde à vue lundi, à Paris. Celle-ci a été levée mercredi soir. Selon les informations de « Libération », un autre policier, Laurent F., présent en Espagne au printemps 2012, aurait lui aussi été placé en garde à vue.